FIJM 2018 – François Bourassa, Jeremy Dutcher, Møme
La couverture du Jazz se poursuit avec François Bourassa Quartet, Jeremy Dutcher, Roger Roger et Møme.
François Bourassa Quartet
Mardi soir, François Bourassa se produisait à l’Astral avec son quatuor, nous interprétant en grande partie des pièces de son dernier album, Number 9. Son jazz, jouant habilement sur les frontières entre un jazz hétéroclite et la musique contemporaine (académique), est amplement mis en valeur par le talent des quatre musiciens, tous bien conscients de cette symbiose stylistique que Bourassa veut explorer. On sent dans leur jeu (et particulièrement dans leurs solos) une cohésion stylistique aussi supérieure à celle de la majorité des groupes de jazz actuel que difficile à atteindre — considérant le degré de dangerosité qu’imposent de tels choix esthétiques. Car, disons-le, la musique contemporaine est difficile d’approche. Il est facile de lui faire dire tout et n’importe quoi. Mais ce n’est pas le cas ici, bien au contraire. Et le tout part probablement de la connaissance que Bourassa semble avoir par rapport, oui, au jazz, mais aussi à ce monde reclus de la musique contemporaine. On le voit bien quand il explique que Carla and Karlheinz est en effet une référence directe à Carla Gray et Karlheinz Stockhausen, deux acteurs notoires de la musique savante du 20esiècle. Brève énumération, mais tout de même paritaire. Chapeau!
Les quatre musiciens ont la plupart du temps magnifiquement embrassé les changements drastiques que comporte la musique du pianiste, ce qui n’est pas chose facile quand ces changements doivent se sublimer du free jazz au presque-djent Tigranien. Les thèmes atonaux (ou presque?) se succèdent, mais laissent toujours une grande place aux essences du jazz qui lie ce potage d’influences. C’est un exploit autant de le composer que de l’interpréter. Le quatuor sait exactement où la musique s’en va, et ils la suivent de très près. Par moment ça donne une performance un peu drabe, comme si l’on assistait à une session studio, une pratique assez commune somme toute, dans cette musique si intellectuelle qu’est le jazz. Tout ça, cependant, a son penchant positif : ils sont tous les quatre plongés dans une profonde symbiose rythmique qui surprend par ses airs anodins. La gestion des volumes individuels était tout aussi impeccable… Vraiment, une des seules choses qui m’a dérangé est le son de la contrebasse jouée arco. Pas si mal, dira-t-on.
Jeremy Dutcher
La vocation de Jeremy Dutcher en est une noble. Et de plus en plus répandue, à mon grand bonheur : l’archivage de la culture des premières nations que nous avons obligées à sombrer dans l’oubli. C’est une tâche d’archivage délicate — très délicate — qui requiert une connaissance accrue de ladite culture, qu’elle soit acquise par la recherche ou inculquée par une communauté. Cette connaissance, le ténor de formation la maîtrise visiblement, et on le voit principalement dans ses explications du pourquoi et du comment de son œuvre. Il nous explique longuement certaines coutumes, certains évènements et même certains mots qu’il utilise — parce qu’il chante en langue Wolastoq, une langue dont seules quelque 100 personnes parlent aujourd’hui. Mais sous cette volonté honorable, qui se transforme malgré lui en un Ted Talk bien javellisé, il y a une grande absurdité pour moi : la musique.
Parce que c’est l’a priori, la musique. Nous n’assistions pas dans le sous-sol du Gesù à un Ted Talk, mais bien à un concert. Et ce concert, lorsqu’on en efface la langue et la prémisse, était aussi mortellement occidental que possible. Je ne remets pas en question ici l’acte sociopolitique, mais bien la composition qui le précède quand on sort un album et quand on joue dans un festival de musique. On se rend vite compte que Dutcher emploie une enveloppe esthétique infiniment plus proche des balades d’Adele et du chant de n’importe quel chanteur classique — pas mauvais du tout, au moins — que de la culture qu’il dit aider à survivre.
Le traitement des échantillons, les progressions harmoniques, le jeu au piano, les lignes mélodiques (seules à provenir de la culture malécite, mais formatées, dénaturées pour rentrer dans ce moule occidental, qui prend ultimement toute la place), les rythmes utilisés… Tout ça était non seulement très loin de la culture déjà suffisamment effacée, non seulement super occidentale, mais en plus hautement quétaine. En oubliant l’extra-musical, ce projet est très, très loin de son but intellectuel. Pourquoi Dutcher, par exemple, n’imbrique-t-il pas à cette écriture les rythmes répétitifs et irréguliers des chants d’origine? Pourquoi ne reflète-t-il pas la rythmique dansante et chancelante que prennent ces chants? Il aurait aussi pu, pour tenter réellement de conserver cette culture qui ne doit pas être réduite à sa langue, s’inspirer du minimalisme intrinsèque des chants et de leur aspect monodique, pour teinter une écriture qui aurait pu être accessible tout en étant teintée de réminiscence. Je pousse encore plus loin pour illustrer la pauvreté du propos musical. Il aurait facilement pu jouer sur ce thème de l’archivage, par exemple en faisant un parallèle entre la détérioration des cylindres de cire qui servaient à enregistrer les chanteurs malécites et celle de la culture du peuple.
Mais non, sa recherche musicale s’est arrêtée à une citation du Sacre du Printemps.
Robert Robert
Le lendemain, Robert Robert nous a proposé une première partie très bien ficelée pour le concert de Møme au Club Soda. Bien que son interprétation était un peu chancelante, autant pour le chant que pour les déclenchements MIDI, la production était intéressante, les basses étaient extrêmement bien gérées, les échantillons étaient variés et originaux, et la performance passait assez fluidement entre beaucoup de styles différents. Il manquait par contre un peu de finesse quand venait le temps de partir le kick dans certaines pièces. D’autres, vers la fin, défaisaient un peu le beau travail du début dans les basses et les crescendos. Dans l’ensemble, c’était un vraiment bon spectacle tout de même. Entre le Deep House et le Drum’n’Bass, on avait d’une manière où d’une autre ben du fun.
Møme
Møme est arrivé après, question d’être au paroxysme de la rupture avec le jazz en ce FIJM très polarisant, et on a fait un méchant saut au niveau du volume et de la performance. Alors que Robert Robert était un peu discret, les deux Français sont venus tout défoncer avec leur présence scénique de feu. Malheureusement, la production était beaucoup plus inégale. Certains kicks étaient beaucoup trop boueux, laissant peu de place pour entendre clairement le reste — mais ça se résorbait vers la fin. En fait, ils n’étaient pas nettoyés, mais si puissants qu’on les pardonnait. Le DJ a résolument un désir du direct, rendu évident par les divers instruments qui surplombaient sa table (guitare, clavier, launchpad, SPD-SX), mais réellement tout ce matériel avait peu d’effet autre que performatif sur la musique. Heureusement, il était extrêmement tight (à vrai dire, il lip-syncait, mais je fais semblant pour que ceux qui y croient restent heureux). Sinon, à part quelques moments un peu agressants à l’oreille, c’était assez bien géré. Ça aurait surtout été meilleur si toutes leurs pièces n’étaient pas très semblables…