Concerts

Festival International de Jazz de Montréal 2019 : Tord Gustavsen

Le jeu fin et délicat qui peuple la musique nordique et pesée de Tord Gustavsen n’est plus un secret très bien gardé. Ses performances nous confrontent sans cesse à sa grande expressivité, d’une précision enlevante, à sa fluidité stylistique presque absolument transparente, à son toucher calculé et pourtant d’apparence si impromptu. Les mêmes louanges peuvent être dirigées à Jarle Vespestad, batteur du trio, véritable homme-orchestre, homme à la batterie fluide et holistique, qui, en si peu de morceaux, sait sortir tant de sonorités, des échappées les plus lointaines aux gestes les plus puissants. L’ajout à tout ça d’éléments électroniques parcimonieux — parallèle parfait à leur musique retenue — a réussi à créer une atmosphère des plus paisibles, effectivement évolutive, cohésive et si présente. Le négatif ne peut venir, dans ce type de concert, d’une course presque irrationnelle vers le mieux. Allons-y tout de même, parce qu’au fil du spectacle, certaines bosses sont apparues dans leur horizon givré.

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Il aurait fallu, pour pouvoir mener le tout au niveau supérieur, un bassiste un peu plus posé (Sigurd Hole brillait par son absence), un peu plus retiré à ses heures, mais sachant pousser plus loin l’harmonie, le timbre, la mélodie quand elle s’impose à lui. Ses appareils électroniques auraient pu aider, seule une réverbération (correcte) colorait son jeu. Mais ce sont des détails qui ne peuvent occulter la grande écoute dont il a fait preuve tout au long du concert, très grande qualité de tout bassiste.

Ensuite, peut-être leur angle distant et nuancé a-t-il été poussé un peu trop du côté du calme et du retrait. Je n’aurais jamais cru dire ceci de quelques musiciens que ce soit à notre ère de force et de rapidité, mais un peu moins de retenue à certains moments opportuns aurait pu faire avancer certaines pièces qui stagnaient un peu à mon goût. Il n’est pas question ici de forcer l’amplitude, mais bien de conserver les moments à leur force maximale, de densifier les orchestrations, de les diversifier un peu (dans la mesure du possible). Parce que la dernière faiblesse du projet, et probablement la plus problématique à mon sens, est l’apport un peu didactique de l’harmonie, souvent empruntée à Bach ou à certaines musiques folkloriques.

Leur talent pour la métamorphose des styles est indéniable. Après nous avoir fait goûter momentanément des trajectoires allant de Debussy à Bach à E.S.T en quelques instants, il est dur de se satisfaire d’une jazzification un peu monochrome au niveau du rythme, des voicings, des ajouts de textes de Bach ou de formules harmoniques un peu clichées. Et ces deux éléments revenaient trop souvent à mon goût au courant du concert. Certaines pièces étaient, au niveau de l’harmonie, constituées plus ou moins uniquement de ceux-ci, et bien que l’interprétation réussissait à en faire passer beaucoup, une plus grande inventivité (ou même cohérence ?) harmonique aurait certainement été un judicieux apport. Les moments impressionnistes (et même certains expressionnistes !) étaient rares, mais très profonds, et une approche plus colorée [ou même spectrale] à l’harmonie aurait eu sa place un peu partout dans le projet. Décevant, donc, dans un projet aussi complet que cette dimension ait été occultée… mais l’excellent concert n’en a pas énormément souffert.

Crédit photo: Alexanne Brisson

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