Festival International de Jazz 2019 – Thus Owls et Christine Jensen
Le sombre et intime M2 nous a offert une belle performance de Thus Owls, eux qui étaient accompagnés de deux contrebassistes pour nous interpréter quelques pièces de leur dernier album, The Mountain We Live Upon. Leur rock organique, forestier, plongé dans toute la splendeur de l’irrégulier — mille mercis à leur batteur gracieusement minutieux — s’est déployé tout en douceur, sans hésitation, dès les premières notes. Le talent scénique de ce groupe est indéniable, mais c’est vraiment le batteur qui donne la touche exceptionnelle, la touche vectorielle, progressive, toujours escaladant vers un zénith modeste, taillé au scalpel, mais réussi presque à tout coup. Ce savoir-faire couplé à des orchestrations inventives et souvent efficaces (le choix des deux contrebasses est discutable; ça ne nuisait étonnamment pas à la lisibilité, mais les subs travaillaient trop tout le temps, nuisaient aux courbes) se soldait en une formule gagnante. Ils auraient pu étendre la gamme dynamique et allonger un peu les moments les plus forts, mais de ne pas le faire ajoutait au mystère paisible de ce groupe. En fait, au niveau de l’énergie, ce fut étonnant de constater que la chanteuse, qui semble être le centre névralgique du projet, était celle qui brisait le plus la bulle dans laquelle les coups de maître du batteur, les moments sautés du guitariste et des bassistes et les compositions sinueuses et grandiloquentes nous plongeaient. Son attitude peu souple semblait cacher un fond rigide et peu fluide qui ne rendait pas justice à sa performance. Elle perçait souvent trop par-dessus ses acolytes… C’était tout de même un moindre mal; personne n’aurait à rougir de cette performance admirable.
Je suis allé terminer ma soirée au Gesù pour un concert de la série du 50e anniversaire de l’étiquette ECM en compagnie de Christine Jensen. La saxophoniste, qui s’était fait donner carte blanche, a réuni un quatuor auquel elle laissait une place généreuse; bien que ses compositions occupaient une place dominante, elle et son groupe ont joué, au cours de la soirée, des compositions de chacune des membres. Dommage, cependant, que leur énergie n’était que très rarement au rendez-vous… Elles lisaient beaucoup leurs partitions, au point où beaucoup d’erreurs et d’accrocs ont été parfaitement audibles — et ce surtout de la part de la batteuse, qui avait un style qui manquait de vie, un son quelque peu monochrome.
Mais malgré que l’écoute n’était pas leur point fort, chacune des instrumentistes ont eu leur moment de gloire, autant sur scène qu’en tant que compositrices. La pianiste Helen Sung, dans une des pièces de la batteuse, a lancé un solo bien mené et inventif, Jensen et ses solos quelque peu convenus ont tout de même réussi à nous faire sortir la tête des nuages à quelques reprises. Mais mon coup de coeur de la soirée a été Noriko Ueda, en charge des basses fréquences: le son clair, son énergie entraînante, sa bonne écoute (couplée à une retenue bien placée), sa confiance et ses solos fluides et maîtrisés faisaient d’elle le pilier dont le groupe avait besoin, suivi de près par la pianiste, qui jouait une carte convenue, mais efficace. Convenu, mais tout de même efficace; ce serait une bonne manière de décrire ce concert assez plat.