Chroniques

Yann Tiersen – Chaman de l’électronique

Prolifique inventeur de compositions aux confins infinis de l’expérimental, le Breton Yann Tiersen s’amène aux Francos. En amorce d’une tournée nord-américaine, le mois de juin s’annonce comme une vaste carte géographique épinglée d’escales au Canada, aux États-Unis, jusqu’au Mexique. Le samedi 18 juin, sur la scène du MTELUS, son fidèle allié le synthétiseur vibrera à l’unisson des notes issues de son tout nouvel opus 11 5 18 2 5 18.

Éloge de la lenteur d’un geek

« Ah vraiment ! C’est mon 13e album… », s’étonne l’artiste, détendu en entrevue. Insubmersible au bilan, à la rétrospection, l’insulaire d’Ouessant depuis plus de quinze ans – son Éden de Bretagne – fut littéralement aspiré par cet univers nature, incubateur de ses précédents albums All (2019)et Kerber (2021). Les neuf pièces de ce nouveau souffle se sont édifiées selon un agencement de geek, introduit Tiersen. Besogneux travail de déconstruction du son, l’origine sonore de Kerber et d’autres albums comme lignes de fond. C’est que l’homme affectionne de plus en plus ce qu’il qualifie de « choses de l’endurance qui s’étirent dans le temps. » À l’instar de nombre d’artistes, la crise sanitaire fut un moment d’interruption charnière à cette école de la méditation où l’agencement des partitions se profile, se révise, puis se fixe. Moment de grâce du dépassement de soi pour celui qui depuis 2018 crée au sein de son propre studio ouvert sur le large de sa pépite sauvage du nord de France. Cadre idyllique pour aller plus loin… encore.

Les gammes d’émotions transposées par 11 5 18 2 5 18 – opus purement électronique et aérien – puise loin de la routine de composition de l’instrument dit traditionnel. Yann Tiersen en a soupé de la routine de l’archet, de la sagesse du piano. Des freins à l’épanchement de son génie. Sur l’album du moment et depuis Kerber, il réalise une osmose plus organique avec son champ émotif. Bizarrement – reconnaît-il – malgré la technique à l’honneur, un lien ombilical avec ses tripes le traverse. Sur la raison singulière de traduire les titres en nombre plutôt qu’en mots, l’auteur-compositeur avait médité sur la chose. L’album né à coup de manipulations numériques, avec échantillons et éléments granulaires digitales se devait d’afficher de la sorte sa conception. Quelle meilleure façon de nommer les pièces! lance-t-il, enjoué.

Une voix cristalline plane sur l’oeuvre, au fil de ses pièces presque strictement instrumentales. Il s’agit du chant de sa compagne, Émilie Tiersen reconnue dans le paysage musical comme QUINQUIS. Son supplément d’âme à la trame instrumentale sur la dernière pièce 13 1 18 25 (6 5 1 20. 17 21 9 14 17 21 9 19) poursuit sa trajectoire laissée sur All.

Vol plané terrien

Dansant l’univers 11 5 18 2 5 18 ? À cette évocation, Yann Tiersen affiche un certain rire, ajoutant qu’il lui paraît un peu tard pour le réaliser. Certes, la techno s’amalgame à ses titres, mais s’apparentant plutôt à la transe chamanique, sans frontières, ambiantes. Le jeune cinquantenaire ressent une force intrinsèque à la connexion avec Dame Nature. L’oppression urbaine lui fait l’effet d’un emprisonnement. Son île sauvage d’Ouessant, un sentiment de paix profonde. D’ailleurs, à quelques jours de sa venue au Québec, il sent monter en lui un esprit natif qui irradie de la terre même. Une sensation à ce point présente qu’il la ressent en son corps. Sa dernière tournée en Amérique du Nord en 2019 lui rappelle des moments heureux, un attachement à la côte ouest. Un territoire vaste qu’il rêverait de conquérir, si la tournée ne l’en détournait pas… Sur le concept de sa performance de samedi aux Francos, Tiersen garde le mystère, espiègle. La composante vidéo s’infiltrera à un désir d’une tournée de plaisir avec ses compères.

Baignant dans un sentiment de liberté au gré de sa trajectoire, Yann Tiersen a l’impression que chaque album le libère de ses freins. Qu’il se rapprocher de ce qu’il a envie de faire. Déjà tourné vers son prochain album, l’artiste approfondit les pistes, en défricheur des temps modernes.

Crédit photo: Richard Dumas

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