Une entrevue avec Patrick Watson
C’est dans le local de pratique du groupe situé sur la rue St-Laurent que Patrick Watson, Joe Grass, Robbie Kuster et Mishka Stein m’ont accueilli pour parler de Love Songs For Robots, le nouvel opus de la formation. Le soleil plombait et les quatre jeunes hommes étaient tout sourire même si j’étais le soixantième à leur poser des questions… journée de promo oblige.
LP: Comment s’est passé l’enregistrement de cet album et en quoi était-ce différent des précédents?
PW: Ça a été un de mes préférés à enregistrer. On a fait la majorité du travail avant d’arriver en studio, ce qui a fait qu’on savait exactement où on s’en allait. On n’a pas fait trop d’explorations ou de recherche sonore. C’était comme enregistrer dans le temps. On était là et on jouait tous en même temps. En plus de faire tout ça à Capitol Studios (Los Angeles) qui est tellement inspirant! C’est là que Nat King Cole et Frank Sinatra ont fait certains de leurs plus importants enregistrements.
LP: Est-ce que le processus créatif a été long?
PW: Oui, on a pris un bon six mois avant de rentrer en studio où on a fait beaucoup d’explorations, où on changeait des parties de chansons. On voulait être sûr d’avoir ce qu’il nous fallait en commençant l’enregistrement.
JG: Il y a quand même des choses que tu trouves à la dernière minute. Si ton démo est mieux fait que ton album et que tu travailles trop les détails, tu n’arriveras jamais à resitedemo.cauire ça en studio et tu te mets dans une position où ta création est figée. L’idée, c’est d’arriver en sachant suffisamment ce que tu veux pour apprécier les surprises.
PW: La version originale de Grace que j’ai enregistré ici était tellement magnifique que j’ai finalement utilisé un peu du démo pour la chanson finale. C’est la seule sur laquelle j’ai triché… j’avais le droit de tricher une fois, non?
JG: T’as comme trois versions dedans?
PW: Oui.
MS: Dans le fond tu as utilisé d’autres musiciens que nous, c’est ça?
PW: (Rires) Mais même eux ne le savaient pas que j’avais utilisé des enregistrements d’ici. En fait, personne n’est censé le savoir. Ce n’est pas très intéressant…
LP: Le nouvel album sonne un peu plus rock, plus gros.
JG: C’est en outre parce qu’avec moins d’instruments, la basse et la batterie se retrouvent plus à l’avant. Il y a beaucoup de groove sur cet album. Quand t’utilises des cordes, même si c’est grandiose, ça reste que le résultat est plus délicat.
PW: Moins y a de choses qui se passent en même temps, plus gros ça sonne.
RK: C’est pour ça que l’enregistreuse maison est aussi importante. Si ça ne se passe pas quand tu «tapes» avec ça, c’est qu’il y a un problème. Mais si déjà ça sonne bien, ça devient extraordinaire en studio. Et avec moins de strates musicales, ce qui est là est vraiment mis de l’avant.
PW: Et puis la batterie fait plus du «kick & snare», un peu comme dans le hip-hop, ce qui donne beaucoup de place à la voix.
LP: Il me semble que l’album est un peu plus sombre que les précédents. Est-ce que c’est parce que tu te sens nostalgique des relations humaines dites «pré-technologie»?
PW: Plus sombre, ah oui? Non pas du tout. Au contraire, je suis très «geek». Je ne crois pas au retour en arrière et à la nostalgie. Et je trouve que ça fait poser de nouvelles questions qui te permettent de mieux te connaître en tant qu’individu. Le plus près qu’on s’approche de l’intelligence artificielle et le fait d’imprimer des organes en 3D, le plus près on s’approche du questionnement existentiel: «Qui suis-je?». Je trouve ça très excitant. C’est une meilleure question que celle que l’Église pose. On est rendu qu’on peut changer les organes. Ils ont même créé et transplanté le système resitedemo.caucteur complet à une femme. Ce qui est intéressant, c’est de se demander: «Quelle est la seule partie que je ne peux pas remplacer de mon corps?». Et c’est nos enfants qui vont devoir répondre à la question. Le titre est en relation avec ça. Si quelqu’un trouve quelqu’un dans un bar ou sur Facebook, je ne sais pas lequel est mieux ou moins romantique. Les deux sont beaux, mais c’est différent. La technologie change la donne. Avant l’imprimerie, les compositeurs étaient pris dans leur ville et composaient pour les gens qui y habitaient, mais tout a changé parce que les mots pouvaient soudainement voyager. Aujourd’hui, je ne crois pas que quelqu’un serait en faveur de retourner à cette époque. Du même souffle, on a perdu beaucoup de la tradition orale à ce moment. Il y aura toujours de la magie qui sera perdue, mais il y a aussi du bon dans tout.
JG: Je pense que ce qui est un peu vertigineux est la rapidité à laquelle les changements s’orchestrent. Ça demande à tous de s’adapter rapidement. C’est difficile pour nous de garder le rythme, mais il faut suivre et choisir le positif dans tout ça.
LP: J’ai vu Strangers que tu as conçu avec l’Oculus Rift en janvier dernier aux Quartiers d’hiver du FMEAT.
PW: Oui et maintenant toute la planète va le voir, c’est le démo! J’imagine déjà Martin Scorsese qui se demande: «C’est qui lui?». Imagine, Scorsese qui se dit que mon appartement n’est vraiment pas propre! C’est un peu fou ça aussi. Je l’ai fait essayer à mon fils et tu peux aller sur Mars. Il l’a fait et après cinq minutes il me demandait déjà: «OK, je veux essayer une autre planète». On s’en va vers ça. Et c’est le fun parce que ça te fait vivre l’empathie de manière différente. Ça change ton rapport à la réalité virtuelle et surtout ça te confronte à la réalité.
LP: Merci les gars.
*À ne pas manquer demain matin la critique de l’album Love Songs For Robots de Patrick Watson sur LCA.