Chroniques

Une entrevue avec Dope Body

8ea02603b17bdd5d1a8feb029b52c296Le groupe Dope Body fait tourner les têtes depuis quelques années. Plus d’un collaborateur du Canal auditif s’est pris d’affection pour eux depuis la sortie de l’album Natural History en 2012. Dope Body lance ce mois-ci le curieux album Kunk, qui vient s’ajouter à une myriade de projets dans l’univers du quatuor de Baltimore. J’ai rejoint le batteur Dave Jacober par téléphone pour parler de ce nouvel album, et de comment le groupe en est arrivé là.
 

Q: Bonjour, Dave. Je te rejoins à Baltimore?

R: Oui.

Q: Vous n’êtes pas en tournée pour l’instant?

R: Non, il va y avoir deux lancements pour le nouvel album bientôt, un à Baltimore et un à New York, puis nous partons le 4 septembre pour quelques semaines en Europe.

Q: Vous n’avez probablement pas pris de pause depuis le dernier album, qui a été lancé il y a un peu plus d’un an.

R: Nous n’avons pas été constamment en tournée, mais c’est vrai que Dope Body n’a pas vraiment arrêté depuis l’an dernier. Chacun de nous a quand même ses propres projets en parallèle.

Q: Tu en as un toi-même? Quelque chose de solo?

R: Oui, j’ai un projet solo qui s’appelle simplement Jacober. J’ai lancé une cassette jusqu’à présent, ça s’appelait Water Karaoke, sur Friends Records, un label de Baltimore. C’est un projet plus pop que Dope Body. Il y a d’autre chose qui s’en vient avec ça.

Q: Vous semblez tous assez occupés par d’autres projets, j’ai lu que le guitariste (Zachary Utz) et le bassiste (John Jones) ont lancé d’autres enregistrements ou ont fait partie d’autres groupes. Est-ce que ça empiète sur le temps que vous consacrez à Dope Body? Devez-vous dire non à d’autres projets pour laisser du temps à Dope Body?

R: Dope Body ne fait pas tellement de tournées. Nous soignons notre travail en studio, mais une fois que c’est fait et que les tournées sont terminées, nous passons quand même pas mal de temps chez nous. Dope Body est notre priorité, c’est certain, mais nous remplissons le temps qui nous reste avec un maximum de projets.

Q: J’ai une question qui est peut-être indiscrète, et dis-le-moi si c’est le cas, mais arrivez-vous à vivre de ces projets ou est-ce qu’il vous faut encore un emploi quand vous revenez chez vous?

R: Tout le monde dans le groupe a un emploi régulier. John et moi sommes barmans, Zach travaille en maçonnerie, et Andrew travaille en arts. Oui, il nous faut ces emplois. Dope Body n’est pas exactement très lucratif! (rires)

Q: Je pose la question parce que je voyais le titre de votre album précédent, Lifer, comme une façon d’exprimer que votre musique est ce à quoi vous voulez consacrer votre vie, mais aussi qu’y être vraiment dévoué est comme une sentence, que vous êtes coincé dans ce mode vie.

R: C’est une interprétation valable. Ce sont deux choses qui s’appliquent assez bien à nous.

Q: Parlons du nouvel album, Kunk. Je dois te dire que la première fois que je l’ai écouté, j’étais complètement éberlué.(rires)

L’ensemble est devenu plus clair avec les écoutes, mais la première fois, je ne voyais pas du tout ce que vous tentiez de faire. Est-ce que c’est l’effet que vous vouliez obtenir?

R: Je dirais tout d’abord qu’aucun de nous ne voit Kunk comme un vrai album, même si c’est absolument un album à part entière. C’est plutôt que ce n’est pas un enchaînement de chansons. C’est un mix de compositions qui vont ensemble. Il faut l’écouter d’un trait sans trop le décortiquer. Si l’album est si différent, c’est plus à cause de comment il a été enregistré qu’à cause d’une intention de notre part.

Q: Explique-moi ce “comment”.

R: Quand nous avons enregistré Lifer, nous avons joué toutes sortes d’improvisations entre les chansons de l’album. Tout a été capté par Travis Harrison, avec qui nous avons enregistré à New York. Nous avions longuement répété les chansons, nous enregistrions tout “live”, et entre les prises, nous nous défoulions en improvisant. Travis nous a envoyé les enregistrements de ces impros. Par la suite, notre chanteur Andrew a travaillé avec Travis à réviser ces enregistrements. Ça a donné Kunk. Ce n’était pas intentionnellement créé comme ça, c’est un projet qui est survenu sans prévenir.

Q: Vous enregistrez toujours live? Je ne l’aurais pas deviné.

R: Nous pouvons le faire parce que Travis sait capter un excellent son live. C’est exactement ce qu’il nous faut, parce que l’interaction entre nous est vraiment ce qui compte le plus dans notre musique. J’ai toujours aimé le temps que je passe en studio, peu importe le studio, mais Travis arrive à capter un son live comme personne d’autre. Je ne sais pas comment il fait.

Q: Avez-vous réenregistré en vous inspirant de ces improvisations?

R: Non. Tous les passages où on entend les trois instruments proviennent de l’enregistrement “live” initial. Andrew et Travis ont repassé dessus, et ont modifié et ajouté certaines choses. (rires)

Excuse-moi, ma blonde se fout de ma gueule un peu. J’ai un combiné rétro que je branche dans mon téléphone pour éviter les tumeurs. Elle trouve ça ridicule.

Q: Passes-tu beaucoup de temps à faire des entrevues?

R: C’est moi qui a l’air d’en faire le plus, une ou deux par semaine. Quand le label (Drag City) nous dit qu’il y a des demandes, on dirait que je suis toujours le seul à répondre. Ça ne me dérange pas, j’aime bien parler aux gens, mais je ne tiens pas à développer une tumeur au cerveau pour ça.

Q: J’aimerais en savoir plus sur le titre de l’album: Kunk. On a entendu ce mot dans une chanson de Natural History (Lazy Slave), mais je n’avais jamais entendu ce terme auparavant. C’est une expression de votre coin?

R: Moi, j’utilise le mot «kunk» depuis que je suis tout petit. Mon frère et moi avons décidé que ça désignait n’importe quel personnage louche qui n’a absolument rien pour lui. J’ai un exemple, tiens, pour illustrer l’idée. As-tu déjà vu le film Cobra avec Sylvester Stallone? Tu te souviens du méchant dans ce film? Le gars avec les gros couteaux? Ce gars est le parfait exemple d’un «kunk». C’est un gars qui a de mauvaises intentions, qui n’a absolument rien de plaisant, et qui a une certaine apparence physique dérangeante aussi.

Q: C’est donc un terme totalement négatif. Est-ce que c’est le revers de la médaille de Lifer? Les deux albums proviennent du même temps en studio, et ils sont des opposés de votre personnalité?

R: Le groupe était à l’origine Zach et moi, et nous avons toujours aimé improviser. C’est donc un côté de nous qui est vrai, mais qu’on n’a pas montré souvent. Nous passons beaucoup de temps à soigner nos chansons pour qu’elles soient bien construites. De temps à autre, nous ressentons le besoin de revenir à l’improvisation. Nous n’avions cependant pas l’intention de faire deux albums reliés l’un à l’autre. Lifer était totalement planifié et intentionnel; Kunk est arrivé tout seul. Nous avions simplement beaucoup de matériel.

Q: Vous comptez continuer à enregistrer à New York avec Travis Harrison?

R: Oui, d’ailleurs nous préparons déjà un album ultrasecret. Ce sera très différent, un genre de Kunk 2.0. Nous avons encore enregistré avec Travis, cette fois avec l’intention de ne faire que des improvisations, contrairement aux improvisations spontanées de Kunk. Andrew, Zachary et moi avons enregistré six heures de matériel improvisé. John, Andrew et Travis vont ensuite se réunir pour modifier et ajouter des choses. Ce sera plus électronique et expérimental que nos albums précédents, moins basé sur les riffs. Zach et moi avons enregistré nos impros, et John et Andrew y ajouteront basse, voix et plus d’électronique.

C’est une progression sur Kunk, j’ai très hâte d’entendre ce que ça donne. Honnêtement, j’ai déjà oublié ce que Zach et moi avons joué. Ça devrait sortir l’an prochain. Je suppose que ça pourrait même être lancé au printemps 2016, mais c’est encore trop tôt pour le dire.

Q: Vous êtes avec les disques Drag City, une maison de disques très variée qui offre énormément de musique intéressante. Comment vous êtes-vous retrouvés avec eux, et comment est-ce que ça fonctionne pour vous?

R: Ils sont fantastiques, on ne peut pas demander mieux. Ils ont un réseau de distribution international, ils sont professionnels et ils nous appuient sans réserve. La relation a commencé parce que nous avons lancé un split avec le défunt groupe Orphan. Ce split avait été lancé par un label californien mené par Dirk Knibbe, un gars qui avait travaillé pour Drag City. Il leur a parlé de nous. Nous faisions plus de tournées à l’époque. Quand nous jouions à Chicago, les gens de Drag City venaient nous voir. Après environ trois spectacles, ils nous ont demandé s’ils pouvaient lancer notre musique. Évidemment, nous étions emballés. La première chose de nous qu’ils ont lancée était Natural History. Ça tombait vraiment à point.

Q: Depuis Natural History, vous recevez plus d’attention de la presse musicale, et une des choses qui revient le plus souvent à votre sujet est qu’on vous compare au rock alternatif des années 1990, parfois en spécifiant des groupes qui selon moi ne vous ressemblent vraiment pas. Cette sonorité nineties est-elle volontaire ou accidentelle? Et est-ce que c’est agaçant que ça revienne si souvent?

R: Je pense que ceux qui disent ça voudraient nous associer à une certaine scène. Tu connais sûrement des groupes qui reprennent fidèlement le style des années 1990, je n’ai pas besoin de nommer personne. Ceux qui nous placent dans cette catégorie ne nous ont clairement jamais vus sur scène, ou ils n’ont entendu qu’une pièce ou deux. Je ne trouve pas que la comparaison tient la route.

Q: Je vois comment certains feraient le lien, peut-être par paresse, mais vous m’avez toujours donné l’impression que vous détourniez cette sonorité au lieu de simplement vous en inspirer.

R: C’est ce que je pense aussi, merci de dire ça. Nous n’essayons pas de recréer un style. Nous sommes tous nés en 1987, le rock des années 1990 nous a évidemment influencés pendant notre jeunesse, mais je ne continuerais pas à jouer dans ce groupe si je ne le trouvais pas unique et vraiment à notre image. Nous écoutons très peu de rock, en fait. Moi, j’écoute à peu près juste du hip-hop.

Q: Tu aurais autre chose à ajouter?

R: Oui, j’aimerais parler de l’autre projet que j’ai avec Zachary. Ça s’appelle Holy Ghost Party. C’est un groupe qui remonte à avant Dope Body, c’était notre premier groupe ensemble. J’y joue de la batterie et je chante, et Zachary joue de la guitare et des effets. Il y a une cassette qui vient d’être lancée par les disques Ehse, un label de Baltimore très intéressant qui a aussi lancé le projet solo de notre bassiste John. Ceux qui aiment Dope Body vont aimer ça. C’est l’essence de l’interaction entre Zach et moi, c’est de l’improvisation. C’est plus pop, mais c’est aussi plus…

Je ne sais pas comment le décrire, il faut l’écouter.

http://www.dragcity.com/artists/dope-body

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