Chroniques

The Smiths + Morrissey + Johnny Marr

The Queen Is Dead

The-Queen-is-Dead-coverEn 1987, j’avais 17 ans. J’étais jeune étudiant imberbe au Cégep de Jonquière, catapulté dans le monde compétitif des adultes, sans de véritables repaires. Je serai franc. Je me suis enfui d’un foyer familial instable, un peu confus par la séparation de mes parents. Premier appartement, première colocation, premier échec amoureux et de nombreux abus de substances de toutes sortes. Bref, un portrait pas trop jojo, mais embelli par deux disques qui m’ont permis de traverser ces épreuves sans trop de séquelles: Life’s Rich Pageant de R.E.M et le sublime The Queen Is Dead du quatuor rock britannique The Smiths.

Paru le 16 juin 1986, ce chef-d’œuvre de la discographie du groupe fête cette année son 30e anniversaire d’existence. Écrites et composées, de manière éparse, majoritairement par le duo Marr/Morrissey au cours de différentes sessions de songwriting et de tests de son qui ont eu lieu pendant la tournée Meat Is Murder, ces chansons constituent le climax de la carrière des Smiths; une courte, mais percutante trajectoire.

On y retrouve un Morrissey caustique et vindicatif quant au conservatisme imposé par le gouvernement Thatcher de l’époque. Du même souffle, le Moz nous prend à la gorge et nous fait pleurer à chaudes larmes sur les hymnes à la solitude et l’isolement que sont I Know It’s Over et Never Had No One Ever. Et l’homme atteint son summum de spleen dramatique dans There Is A Light That Never Goes Out, un joyau déchirant, s’il en est un.

Impossible de rester insensible à l’écoute de cette perle: «And if a double-decker bus crashes into us, to die by your side, is such a heavenly way to die. And if a ten-ton truck, kills the both of us, to die by your side, well the pleasure, the privilege is mine.»

Musicalement, le jeu de Marr à la six cordes est éblouissant. Vous n’aurez qu’à écouter (ou à réécouter) le solo final dans The Queen Is Dead pour prendre conscience que le guitariste a été sans contredit l’un des plus grands instrumentistes de son temps, doublé d’un compositeur inventif et éloquent. Réalisée une nouvelle fois par l’ami et l’acolyte Stephen Street, la genèse de ce grand disque ne fut pas nécessairement de tout repos.

L’atmosphère au sein des Smiths n’était pas au beau fixe, tant s’en faut. Marr estimait que le personnage imposant de Morrissey prenait trop de place médiatiquement parlant, reléguant à l’arrière-plan le travail créatif des trois accompagnateurs. Le bassiste Andy Rourke était aux prises avec des problèmes de consommation d’héroïne; une drogue qui ne pardonne pas. Malgré tout, l’atmosphère en studio était, semble-t-il, harmonieuse; les quatre musiciens préférant focaliser leurs efforts sur le résultat de cette création à venir plutôt que sur les tensions sous-jacentes. Ces crispations relationnelles viendront sonner le glas de The Smiths de façon permanente lors de la parution de Strangeways, Here We Come, chant du cygne révélé l’année suivante.

Le principal attribut du tandem Marr/Morrissey (particulièrement sur The Queen Is Dead) réside dans cette alternance entre les propos parfois vitrioliques du Moz et la musique rock romantique, raffinée et de bon goût composée par Marr. Un contraste désarçonnant, mais vivifiant, comme si le petit côté punk de la formation se domestiquait afin de mieux faire passer le message.

La chanson titre est un monument ironique portant sur l’inutile royauté britannique. Là où le God Save The Queen des Sex Pistols vargeait dans le tas, The Queen Is Dead tourne en dérision tous les tics mondains de la monarchie britannique. Frankly, Mr Shankly ridiculise le président de Rough Trade, Geoff Travis, qui a fait la vie dure au groupe pendant la majeure partie de son existence. Cemetry Gates est une référence au poète de prédilection de Morrissey: Oscar Wilde. Kristy MacColl (auteure-compositrice décédée en 2000) prête sa voix étrange à Bigmouth Strikes Again, une pièce qui a bouillonné tous les systèmes de son des bars alternos du bon vieux temps et l’album se conclut sur Some Girls Are Bigger Than Others… qui se passe de commentaire! Bonus? La pochette est une conception de sieur Morrissey lui-même et met en vedette l’acteur français Alain Delon dans son rôle d’Alain Vlassenroot, personnage joué dans l’Insoumis, film d’Alain Cavalier paru en 1964.

À la fin des années 80, même si j’émergeais, les oreilles dessuintées par la mini vague punk prolétaire américaine qui faisait rage (Suicidal Tendencies, Black Flag, Dead Kennedys, Hüsker Dü), le propos et la musique raffinée des Smiths me parlaient pleinement. Le vague à l’âme et le sarcasme de Morrissey, le jeu de guitare subtil et techniquement irréprochable de Marr, l’efficace et délicate section rythmique personnifiée par Andy Rourke et Matt Joyce m’ont tout de suite plu et sont venus m’accompagner dans cette période trouble.

The Smiths a fait paraître quatre grands disques et même si aujourd’hui, Morrissey peut vous taper sur le gros nerf, vous seriez d’une mauvaise foi crasse de ne pas reconnaître l’immense apport de la formation à l’histoire de la musique rock. Tous les grands du tsunami britpop qui sévissait à la fin des années 90 ont revendiqué l’héritage musical des Smiths. The Queen Is Dead est un classique qui vieillit admirablement bien, point à la ligne.

http://www.officialsmiths.co.uk/

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