Chroniques

Sigur Rós

Ágaetis Byrjun

  • Fat Cat / Smekkleysa
  • 1999

La musique de Sigur Rós restera à jamais associée à un moment précis de ma vie. Pour toutes sortes de raisons, je suis moins porté aujourd’hui à écouter la formation islandaise, et pourtant je n’hésiterais pas à la classer parmi mes groupes fétiches. Tous leurs albums (sauf peut-être Kveikur) sont significatifs à mes yeux, mais l’un des plus importants reste Ágaetis Byrjun, qui fête ses 20 ans ce mois-ci.

Bien qu’il soit paru en 1999, Ágaetis Byrjun a pris tout son sens pour moi en 2007, quand j’ai effectué un voyage en solitaire en Islande (c’était avant WOW Air). Après une rupture douloureuse, j’ai ressenti le besoin de m’isoler et de m’évader afin de remettre un peu d’ordre dans ma tête. À l’époque, Sigur Rós avait déjà lancé son quatrième disque, Takk…, que j’écoutais alors en boucle ou presque.

Bien honnêtement, la musique du groupe, que j’associais aux images de volcans et de geysers peuplant leur pays natal, est la principale raison ayant motivé mon choix de destination. J’avais même pu faire coïncider mon départ avec un spectacle-bénéfice pour le Tibet au Carnegie Hall de New York auquel Sigur Rós participait. Le hasard a même voulu que je me retrouve sur le même vol vers Reykjavik que le groupe, comme en témoigne une copie autographiée de mon CD de Takk… (aussi ornée d’un petit soleil dessiné par un des membres en lieu et place de son nom).

Un succès inattendu et inespéré

Un peu à l’image de ma rencontre fortuite avec Sigur Rós sur un vol d’Icelandair en février 2007, Ágaetis Byrjun est certes un album au destin particulier. D’abord, sur le plan musical, il marquait un changement majeur de direction par rapport au premier disque du groupe, l’énigmatique et expérimental Von, paru deux ans plus tôt et qui tirait beaucoup plus vers le shoegaze ambiant que le post-rock orchestral et grandiose. Sans oublier qu’Ágaetis Byrjun est aussi l’album qui allait apporter un succès critique et commercial aussi inattendu qu’inespéré à la formation islandaise.

Pourtant, Ágaetis Byrjun a connu une période de gestation pour le moins laborieuse. Les sessions d’enregistrement se sont étalées sur près d’un an, et la date de sortie du disque a été repoussée à plusieurs reprises. Ce sont aussi les membres du groupe qui ont assemblé eux-mêmes à la main la pochette des premiers exemplaires, avec pour résultat que la colle a débordé sur certains CD, ce qui les a rendus inutilisables. Bref, on comprend un peu mieux pourquoi le label Smekkleysa entretenait des attentes si modestes pour ce disque, espérant en vendre au mieux 2000 copies.

Sauf que le disque a fait un malheur en Islande, où il est devenu l’album le plus vendu de tous les temps dans ce petit pays de 300 000 habitants. La presse internationale a par la suite commencé à s’intéresser au phénomène, et l’album a été lancé en Grande-Bretagne en 2000, puis en Amérique du Nord un an plus tard. La consécration a été immédiate et Pitchfork l’a classé au deuxième rang de son palmarès des meilleurs albums de 2000 (et éventuellement #8 dans son top de la décennie).

Le succès populaire d’Ágaetis Byrjun a également été propulsé par l’utilisation de ses chansons dans plusieurs films. Cameron Crowe fut le premier en 2001 à réaliser tout le pouvoir cinématographique de la musique de Sigur Rós en utilisant la pièce-titre de l’album et Svefn-g-englar dans le film Vanilla Sky, avec Tom Cruise et Penelope Cruz (« on n’a pas aimé ça du tout », dira plus tard le chanteur Jónsi Birgisson). Puis, ce fut au tour de Wes Anderson d’acquérir les droits de la chanson Starálfur pour The Life Aquatic with Steve Zissou, sortie en 2004. Mais ma préférée reste le magnifique contre-emploi de la chanson Olsen Olsen pour accompagner une scène de bowling dans C’est pas moi, je le jure! de Philippe Falardeau, sorti en 2009.

« Dieu versant des larmes dorées au paradis »

Ágaetis Byrjun se traduit par « un bon début », ce qui est ironique quand on sait qu’il s’agit du deuxième album de Sigur Rós. Et pourtant, la formation n’aurait pu trouver mieux, tellement ce disque lui a permis d’établir son identité, que ce soit par la voix angélique de Jónsi ou cette façon de frotter les cordes de sa guitare avec un archet. C’est également le disque où le groupe a développé son talent pour les arrangements élaborés (superbes cordes sur Viðrar vel til loftárása et cuivres façon jazz de chambre sur Ný batterí), sans oublier l’utilisation sur deux titres du langage inventé Vonlenska, qui deviendra la matière première de l’album ( ) trois ans plus tard.

Ágaetis Byrjun est aussi l’album par lequel Sigur Rós est devenu l’un des héros du post-rock, avec le caractère grandiose de sa musique. Et le groupe ne manquait pas de culot, comme en témoigne ce message publié sur son site web à l’époque : « Nous n’avons pas l’intention de devenir millionnaires, nous allons simplement transformer la musique pour toujours. » Le Melody Maker en avait été convaincu, comparant la musique du groupe à « Dieu versant des larmes dorées au paradis ».

Mais l’étiquette « post-rock » n’a jamais semblé plaire à Sigur Rós, dont la musique à l’époque était comparée à celle de Godspeed You! Black Emperor. En 2000, les deux groupes ont fait une tournée en Grande-Bretagne ensemble, qui a toutefois laissé un goût amer à Sigur Rós, comme l’a ensuite déclaré le bassiste Georg « Goggi » Hólm : « La tournée avec Godspeed a été très difficile. On n’avait que cinq minutes pour effectuer notre test de son puisque le leur durait trois heures ».

Ágaetis Byrjun, 20 ans plus tard

Il m’a fallu un certain temps pour apprécier Ágaetis Byrjun à sa juste valeur. Avant de partir pour l’Islande, je lui préférais ( ), que je trouvais plus dramatique. En fait, c’est en roulant sur les routes désolées du pays (j’y étais en février, quand il fait clair sept heures par jour et qu’il y a peu de tourisme) que j’ai pris conscience de la puissance évocatrice de cet album. Encore aujourd’hui, je vois le glacier Vatnajökull ou les puissantes chutes Gullfoss en entendant le refrain de la majestueuse Flugufrelsarinn ou les cordes magnifiques de Hjartað hamast (bamm bamm bamm).

Le hasard veut qu’on fête les 20 ans d’Ágaetis Byrjun au moment où on se demande bien ce que l’avenir réserve à Sigur Rós. Le groupe n’a pas sorti de nouvel album depuis Kveikur en 2013 et n’est plus réduit qu’à deux membres à la suite du départ du batteur Orri Páll Dýrason, qui a quitté la formation en octobre après avoir fait l’objet d’allégations d’agression sexuelle (le claviériste Kjartan « Kjarri » Sveinsson avait déjà quitté le bateau après la sortie de l’album Valtari en 2012). Qui plus est, le groupe est accusé d’évasion fiscale par le gouvernement islandais…

Cela dit, la machine continue de rouler. Les Islandais lancent ces jours-ci un coffret anniversaire d’Ágaetis Byrjun incluant sept vinyles, affiché à 150 dollars américains sur leur site web… ou l’équivalent de 20 000 couronnes islandaises.

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