Forêt
Après un petit arrêt estival, la chronique Raconte-moi ton disque effectue un retour aujourd’hui même. C’est avec un enthousiasme débordant que je vous offre le compte-rendu de ma rencontre avec la formation montréalaise Forêt. En effet, par une belle fin d’après-midi du mois de septembre, j’avais donné rendez-vous à Joseph Marchand et Émilie Laforest (les deux instigateurs et principaux créateurs de Forêt) au Lab Mastering afin de réécouter ce remarquable album homonyme de pop fantomatique.
L’un des principaux collaborateurs du Canal Auditif, Philippe Beauchemin, avait rédigé une présentation assez élogieuse de cette conception sonore (voir le lien en fin d’article); et il avait absolument raison! En préparant l’entretien, je me suis plongé inlassablement dans ce petit bijou d’album et je dois avouer que d’avoir à réentendre cette sitedemo.cauction dans ce qui constitue l’une des meilleures écoutes studio du moment, me réjouissait au plus haut point. Avec la précieuse collaboration de Joseph et Émilie, je vous propose une exploration, piste par piste, de l’une des parutions kebs par excellence de 2013
LE SUCRE DE MES LARMES
En premier lieu, Émilie me confie que dans le cadre de ce projet musical, elle a été contrainte de retravailler sa voix de manière complètement différente. À ma grande surprise, cette voix aérienne (qui constitue l’une des signatures sonores de Forêt) n’est pas tout à fait le véritable registre vocal d’Émilie. De son côté, Joseph me confie que le son d’orgue en introduction provient d’un clavier Yamaha rudimentaire appartenant à François Lafontaine (Karkwa), coréalisateur de l’album.
LA CAGE
Une guitare acoustique très Grizzly Bear, un rythme martial typiquement Robbie Kuster (Patrick Watson) et surtout, une sublime superposition de guitares électriques grinçantes/dissonantes gracieuseté de Joseph Marchand. Je fais part de mon appréciation de ce moment rock à Joseph qui me répond en souriant que cet instant est le résultat de deux ou trois pistes de guitares qui se chevauchent dans le mix; d’une très grande efficacité.
CORPS MAQUILLÉS
C’est à ce moment qu’Émilie aborde l’éloquent travail littéraire de Kim Doré. Il semblerait que la poétesse ait abordé le labeur de création d’écriture chansonnière avec une très grande ouverture d’esprit, puisqu’au fur et à mesure de l’élaboration de ce Forêt, les textes ont dû subir d’incessantes modifications. Émilie et Kim étaient en communication constante afin d’arrimer les paroles adéquatement à la musique. Sur ce plan, c’est une totale réussite et sans faire de jeux de mots douteux, ce sont des mots qui sonnent!
JE TOMBE AVEC LA PLUIE
Harmonies vocales multiples, refrain sublime, guitare acoustique arpégée exécutée par Joseph, voilà un morceau frémissant qui se rapproche sensiblement de l’esthétique sonore préconisée par Sigur Ros. Selon les deux musiciens, cette chanson a demandé un infatigable travail avant d’en venir finalement à bout. Selon Joseph, la version finale ne ressemble en rien à la première mouture confectionnée; une pièce prestataire de frissons!
LE VERBE AMOUR
Une guitare passée dans un effet «whammy» joué par Joseph, des synthétiseurs signés François Lafontaine, un refrain fédérateur, des voix célestes en arrière-plan et ce rythme inspiré du Chariots Of Fire de Vangelis (c’est Joseph qui en fait mention avec un sourire dans la voix), voilà les ingrédients de cette captivante chanson pop éthérée.
APRÈS LA GUERRE
Une chanson caractérisée par une ligne de piano bondissante de François Lafontaine, appuyée vocalement par Émilie, ainsi qu’un paysage sonore quasi new-age en second plan dans le mix. Aux dires d’Émilie, le travail de mixage a donné beaucoup de fil à retordre au compétent Pierre Girard (prise de son et mixage); un véritable casse-tête sonore!
À CEUX QUI NE SENTENT PLUS RIEN
Une ritournelle instrumentale fortement inspirée par la démarche artistique sitedemo.caiguée par la formation australienne Tame Impala. Un effet de délai dans les voix vaporeuses, une basse synthétique et encore une fois, une performance rythmique opérante du talentueux Robbie Kuster. Ce Robbie Kuster est un talent qui fait l’unanimité entre Joseph, Émilie et moi.
REPOSE-TOI BIEN (POUR THOMAS)
La petite histoire de cette chanson? Kim Doré avait travaillé sur des textes rendant hommage à son amie Nelly Arcan (écrivaine décédée en 2009). Elle a donc remis ces écrits à Émilie, qui s’est affairée astucieusement à en faire un montage poétique persuasif qui se veut un hommage à son frère, lui aussi décédé… et ce changement de rythme au refrain (qui fait un peu penser à Malajube) vient surprendre et bonifier cette pièce.
L’AMOUR DE MARBRE
La conclusion de ce morceau est concrètement inspirée (cinématographiquement parlant) du dénouement du film Melancholia de Lars Von Trier, et musicalement, des symphonies de Mahler. L’amour de marbre est caractérisé par un crescendo apocalyptique transcendant qui met en lumière l’indéniable talent musical de Forêt ainsi qu’une maîtrise parfaite de l’enregistrement sonore et de la réalisation. De plus, la participation vocale éloquente et le texte signé Pierre Lapointe sont totalement à la hauteur. Je tire ma révérence à toute l’équipe qui a gravité autour de la sitedemo.cauction de cet album. Cette chanson/œuvre est tout simplement éblouissante.
L’écoute de cette musique trop rare dans l’univers musical québécois s’est avérée être une véritable révélation à mes oreilles. Lorsque des musiciens de cette trempe revendiquent des ascendants sonores aussi pertinents que Grizzly Bear, Portishead, Beach House, Julianna Barwick, Malajube et Harmonium, je ne peux qu’immensément respecter la démarche artistique prescrite. Forêt est un duo sincère, authentique, intègre, qui a du goût (superbe pochette de l’artiste visuel David Altmejd) et qui crée une musique atypique dans cette sphère parfois un peu trop conservatrice et stéréotypée que représente la scène musicale québécoise.
Cet entretien m’a complètement comblé et je vous invite sans crier gare à poser vos oreilles sur ce disque remarquable. Fera partie sans aucun doute de mes albums prisés de l’année en cours.
La critique de Philippe Beauchemin:
lecanalauditif.ca/foret-foret/
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