R.E.M.
Out Of Time
S’il y a un groupe qui a eu un ascendant majeur dans ma modeste vie, c’est bien R.E.M. Je suis un fanatique de la période chez I.R.S Records, de l’album Murmur (1983) à Document (1987). C’est en 1988 que Michael Stipe, Peter Buck, Mike Mills et Bill Berry sont entrés dans les «grosses ligues» de la musique pop en signant un lucratif contrat avec Warner Brothers. La même année R.E.M. faisait paraître Green sur lequel la pop/folk baroquisante du quatuor prenait forme. Et tout ça nous éclata en pleine poire en 1991 avec la parution du plus grand succès commercial de l’histoire de la formation, Out Of Time, dont on célèbre ce mois-ci le 25e anniversaire de parution. Voilà le disque qui a permis à la formation originaire d’Athens, Georgia, de passer du statut de groupe culte à celui d’important groupe rock international.
Et c’est avant tout grâce au monstrueux succès qu’a obtenu le premier extrait de ce disque: Losing My Religion. Aujourd’hui, on peut entendre ce classique dans tous les karaokés de la planète. La genèse de cette chanson a reposé en grande partie sur le hasard créatif. En effet, le guitariste Peter Buck, bien confortablement assis devant son téléviseur, s’évertuait à plaquer machinalement quelques accords de mandoline et c’est ainsi que les balbutiements de Losing My Religion (qui signifie «perdre sa contenance» dans le sud états-unien) ont vu le jour.
L’autre triomphe commercial de ce disque est l’imbuvable Shiny Happy People; un duo vocal enfantin qui met en vedette Stipe et Kate Pierson des B 52’s. L’une des pires chansons du corpus chansonnier de R.E.M. et je peux vous certifier que le groupe a toujours évité, dans la mesure du possible, de jouer ce morceau en concert. Une commande de la maison de disques, qui sait? Qu’à cela ne tienne, Out Of Time ne se résume pas qu’à ces deux pièces.
La ténébreuse et minimaliste Low, qui se termine dans un certain apogée orchestral, est l’un des moments forts de l’album. La parfaitement R.E.M., Near Wild Heaven, qui met en relief le légendaire jeu arpégé (très The Byrds) de Buck est également une réussite. Dans la même catégorie, Mike Mills (le maître des harmonies vocales) devient meneur de jeu, l’instant d’une chanson, en interprétant solidement Texarkana… mais la pièce de résistance d’Out Of Time est sans contredit la colossale Country Feedback, titre que R.E.M. a exécuté dans tous ses concerts jusqu’à la fin de sa carrière. Derrière le micro, Stipe offre une performance sentie à tout coup et Buck y va toujours d’un solo subtilement dissonant, bourré de délicats larsens. Vous dire à quel point cette chanson m’a accompagné dans les moments les plus compliqués de mon existence est un euphémisme.
«It’s crazy what you could’ve had. I need this. I need this.»
Stipe élève l’intensité à la fin du morceau. Buck se révèle en fin de parcours avec une guitare salopée qui, invariablement, et ce à chacune des auditions, me pousse au bord des larmes. Grande chanson. Cette célébration du quart de siècle d’existence d’Out Of Time n’est qu’un prétexte pour vous dire à quel point j’ai le plus grand des respects pour ce groupe qui a su parfaitement conjuguer succès et intégrité. Quelques anecdotes?
En 1997, le batteur Bill Berry, qui avait subi quelques années auparavant un anévrisme en concert, annonce à ses comparses le désir de quitter R.E.M., ayant de moins en moins de plaisir à vivre cette vie de pop-star. Il a émis une seule condition à son départ: que le groupe lui survive, rien de moins. Ça en dit assez long sur l’amitié et la solidarité qui unit R.E.M. Toutes les chansons crées ont toujours été créditées aux quatre membres de la formation, même si le duo Buck/Stipe détient la paternité de la plupart des titres. Le groupe a eu le même gérant/avocat, Bertis Downs, jusqu’à sa séparation.
À la suite de la signature de leur fructueuse entente avec Warner, R.E.M. a remis régulièrement d’énormes montants d’argent afin de restaurer et rénover les bâtiments historiques d’Athens afin d’éviter que certains droitistes les détruisent. Aujourd’hui, la ville est considérée comme l’un des plus beaux fleurons patrimoniaux du «deep south» américain. Le groupe a toujours exprimé des positions politiques ouvertes, progressistes et humanistes sur une tonne de sujets.
J’étais présent en 1989 au Forum de Montréal (ouf… sans commentaire!) lors de la tournée de l’album Green. Bien entendu, ils ont balancé la majorité des chansons issues de cette création, mais ils ont également joué une panoplie de titres dits obscurs provenant de l’ensemble de leur catalogue chez I.R.S. La foule était subjuguée.
Sont tellement lucides les gars de R.E.M., que Buck a souvent qualifié la musique du groupe de «tempo moyen, en tonalité mineure, énigmatique, des ballades semi-folk rock». Un groupe tellement important qu’il a pratiquement forcé la mise sur pied, presqu’à lui seul, des radios universitaires américaines (les mythiques «college radio»). R.E.M. est un groupe phare et d’une importance capitale dans le développement et la création du mouvement rock alternatif, propulsé au nirvana (c’est le cas de le dire) par l’album Nevermind. Si j’ai deux disques à vous conseiller, c’est sans l’ombre d’un doute Life’s Rich Pageant et Document qui, sous des airs de folk rock accessible, cachent une dénonciation onirique/poétique des politiques conservatrices de Ronald Reagan. L’homme politique qui incarne, avec Margaret Thatcher, le début du lent, mais chirurgical démantèlement de la social-démocratie occidental… avec les résultats sociaux et économiques désastreux que l’on connaît aujourd’hui.
Comme vous pouvez le constater, Out Of Time ne constitue pas mon album de prédilection du quatuor, mais le groupe est toujours demeuré parmi mes chouchous tous genres confondus. Pourquoi? Parce qu’en des temps incertains, lorsque l’on doit faire respecter ses valeurs et ses principes, se tenir debout paisiblement, sans plier, je revisite l’œuvre de R.E.M. Ne serait-ce que pour me rappeler qu’il n’est pas nécessaire de vendre son âme au Grand Capital et au monde extérieur pour réussir sa vie. En ce qui me concerne, la trajectoire artistique empruntée par Stipe, Buck, Mills, Berry est exemplaire… des êtres humains et créateurs assurément imparfaits, mais qui ont le cœur à la bonne place!
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