Chroniques

Téléphone L'Impératrice (photos prises de Facebook)

L’Impératrice: rencontre avec Flore Benguigui et Charles Boisseguin

Quatre ans après Matahari, voici Tako Tsubo, le second long-jeu du groupe pop et nu-disco français L’Impératrice. Il arrive ce vendredi 26 mars via l’étiquette parisienne microqlima. Nous avons rencontré deux des six membres de la formation, soit Flore Benguigui et Charles de Boisseguin. La discussion s’est articulée autour du disque, de leur tout nouveau studio DIY, des artistes qui les inspirent, de féminisme en chanson et de la triste séparation de Daft Punk et de son impact sur la musique.


Avant toute chose, que veut dire Tako Tsubo? Ce terme est tiré de l’expression japonaise « piège à poulpe », qui signifie « le syndrome des cœurs brisés ». 

« C’est le syndrome des cœurs brisés, qui se manifeste par une déformation du cœur due à une intense émotion, négative ou positive. Tako Tsubo donc, c’est d’avoir ce cœur trop gonflé, encaisser les changements, les cassures, la sidération, parfois l’intense joie. C’est peut-être aussi qu’il y a eu une faille dans le système, un électrocardiogramme irrégulier, une pause inhabituelle dans la frénésie. Tako Tsubo, quand on n’a pas le cœur assez bien accroché pour l’époque, pour la vie. »

Au centre de ce nouveau LP se trouve donc le cœur. Le cœur malmené, épuisé, mais pas triste ou mélancolique. Le cœur du groupe semble ragaillardit même au milieu d’une crise sanitaire qui, on le rappelle, les a stoppés net alors qu’ils entamaient une tournée mondiale qui les faisait passer par Coachella en avril 2020.

Tako Tsubo L'Impératrice Peur des filles

Il est 11 h au Québec, où le printemps se pointe le bout du nez. Dans un autre fuseau horaire, Flore et Charles, coupe de mousseux à la main, m’avouent être jaloux de nous au Québec, avec nos salles de spectacle qui rouvrent le 26 mars, le jour de la sortie de Tako Tsubo. Même s’il fait plus chaud à Paris, les deux musiciens ont la mine basse. La France saura dans quelques instants que le pays se reconfine pour une troisième fois.

Ayant fait leur deuil d’un concert de lancement, L’Impératrice se tournera vers un livestream, tourné à partir de leur tout nouveau studio construit à l’automne dernier, lors du deuxième confinement. Un projet DIY complètement fou, dont on s’est empressé de discuter.

Les bricoleurs à l’oeuvre, tournevis au plafond et planches en mains (Facebook)

Avez-vous trouvé un nom à votre studio?

Flore s’exclame joyeusement : « Non, mais c’est trop une bonne idée! En fait, on l’appelle par l’endroit où le studio se trouve, la Sira. » La chanteuse de L’Impératrice m’explique qu’une ancienne usine d’Asnières-sur-Seine, tout près de Paris, a été réhabilitée en espace multidisciplinaire. C’est devenu, au fil des dernières années, un genre de repère pour des artistes de tous les horizons. « En fait, c’est grâce à Polo & Pan si on a eu le studio là-bas », spécifie Charles.

Avec humilité, le duo éclate de rire en avouant que personne du groupe ne savait se servir d’un outil, au moment d’entamer les travaux. « On a tout fait nous-mêmes. On était nuls, mais vraiment nuls en bricolage, surtout moi! », rigole Charles. Flore tient à me rassurer qu’aucun musicien ne s’est blessé lors de cette épopée.

Ayant crûment besoin de s’occuper à quelque chose durant cette pause obligée, le sextuor s’est retroussé les manches. « Mais surtout, le but c’était d’avoir notre endroit à nous pour répéter, pour faire des lives, pour composer », ajoute-t-il. Ce dernier précise qu’avant d’acquérir cet espace, L’Impératrice partageait un petit local de répétition avec d’autres bands. Il leur était impossible de laisser leurs instruments là-bas, ou de pouvoir organiser des événements comme ils le souhaitent aujourd’hui, à la Sira.

Avez-vous des projets prochainement, pour le studio? Est-ce que vous pensez réaliser les albums d’autres artistes? Ou composer de la musique de film? Je sais que c’est quelque chose qui intéresse particulièrement Charles.

« On a commencé un tout petit peu à travailler sur les projets d’autres artistes, notamment Pépite, qui est un groupe signé sur notre label (microqlima) qui sont des copains, pour faire plus de l’arrangement que de la réalisation », avance Charles. « Pour la musique de film, dès que l’occasion se présentera, c’est certain qu’on sautera dessus. »

À son tour, Flore se réjouit d’un autre projet tout aussi excitant, qui aura lieu à raison d’un soir par semaine, virtuellement, tous les mercredis. Un genre de séance d’écoute pour geeker, une chanson à la fois, sur le travail de studio de L’Impératrice. « On va jouer le morceau et parler de son processus de création, on va écouter les pistes séparées pour montrer un peu ce qui se passe dans le morceau, raconter comment ça a été écrit. On va avoir des conversations avec les gens qui ont fait le clip par exemple, et ça on va pouvoir faire ça à partir de notre studio! Comme c’est nous — et pas un producteur — qui composons notre musique, y’a que nous qui puisse raconter ça. »

L'Impératrice (Live session Ferber - 2020)

De quels artistes vous vous êtes le plus inspirés pour Tako Tsubo?

Charles me fait savoir qu’on y entendra beaucoup d’inspirations variées. Toutefois, c’est l’esprit du duo Daft Punk qui les aura influencé le plus jusqu’ici, et particulièrement sur Tako Tsubo. « Quoi qu’il arrive, il y aura toujours un peu de Daft Punk dans nos morceaux. Par héritage, par cohérence générationnelle, en fait. J’ai grandi avec les Daft Punk dans les années 1990 et 2000. Cette musique m’a toujours accompagnée. »

« C’est vrai qu’on est très tourné vers le disco et la musique un peu analogique des années 1970 et 1980, mais on adore aussi des artistes plus actuels comme Tyler The Creator et Anderson .Paak », ajoute Charles. À la lumière de ces détails, il faut dire que L’Impératrice a su par quel chemin passer pour que Tako Tsubo sonne comme une tonne de briques de funk et de nu-disco. L’album a été mixé par Neal Pogue, le guru de la musique pop et groovy de notre ère. Durant les trente dernières années, le mec a touché aux albums de Tylor The Creator justement, Kaytranada, OutKast, TLC, Pink, Earth Wind and Fire, Nicki Minaj, Janelle Monae, Franz Ferdinand, et on en passe.

Qu’est-ce que ça vous fait que Daft Punk se sépare?

Charles m’apparaît avoir déjà ruminé cette question, puisqu’elle semble avoir amené beaucoup d’interrogations et de réflexions chez lui. Pour lui, il y a quelque chose d’extrêmement triste dans cette fin, car dès que Daft Punk dévoilait un album, ils révolutionnaient la musique. « Soit ils lançaient une tendance, soit ils en ramenaient une. Enfin, de voir Daft Punk se séparer, c’est peut-être se dire qu’ils n’ont plus rien à apporter, ou qu’ils n’ont plus envie d’apporter quoi que ce soit. C’est à se demander : faut-il réfléchir à ce qu’est devenue la musique maintenant? », se demande Charles.

La tête pensante de L’Impératrice avance que la raison pour laquelle la grande majorité des gens a mordu à l’hameçon à chaque coup reste que Daft Punk proposait une musique socioculturelle. « C’est que derrière leurs morceaux hyper divertissants se trouvait toujours une analyse de l’époque. Et c’est ce qu’il y a de plus beau dans la musique de Daft Punk! Ça fait chier, on a besoin de s’inspirer de gens comme ça », termine Charles, la mine basse.

Écrire des textes forts, sans se prendre au sérieux

Les textes, et c’est ce qu’on remarque rapidement, marquent une rupture de continuité avec leur précédent opus, puisqu’ils occupent une place prédominante dans l’album.

L’unique représentante de la gent féminine au sein du sextuor, c’est Flore. Elle compose les mélodies de voix et écrit la majorité des paroles qu’elle interprète merveilleusement. C’est un travail qu’elle a exécuté en duo avec Charles pour Matahari, alors que sur Tako Tsubo, elle s’est débrouillée toute seule pendant que les garçons enregistraient les instrumentaux en studio.

« Pour Matahari, j’écrivais surtout des textes un peu rêveurs, très lunaires, hors sol tu vois. Le but, c’était plus d’avoir des textes qui sont jolis et qui sonnent bien, mais qui ne veulent pas dire grand chose! Donc, là, déjà d’avoir des morceaux qui signifient quelque chose, mais en plus, je pense que d’y apporter de l’ironie, ça c’était un deuxième step que je voulais passer », raconte Flore, à propos de ton processus d’écriture.

L’ironie dont parle l’autrice se retrouve particulièrement dans la chanson Peur des filles, une pièce à propos de laquelle j’avais des questions. Quel avait été l’événement déclencheur de cette prise de parole, pour Flore, s’il y en avait eu un? Car on sait que l’artiste a dénoncé le sexisme dont elle a été victime plus jeune, dans le milieu musical français, il y a quelques temps.

« Peur des filles s’est faite naturellement. Je ne m’étais pas dit : Je vais écrire une chanson féministe. Je me suis dit qu’en explorant l’ironie à travers l’ambiance de ce morceau, ça pouvait être une bonne façon de parler de féminisme », avoue-t-elle.

« Du coup, pour Peur des filles, je trouvais ça marrant de choisir de prendre l’angle d’un gros macho, et donc de me moquer de tous les genres de stéréotypes que ce genre de mecs pourraient poser sur les féministes, comme les hystériques, par exemple. De parler de ces tabous avec un certain ton, en restant léger, mais quand même d’en parler. Ça a d’ailleurs pu énerver certaines personnes…! Sur YouTube, on nous a écrit qu’on se mettait consensuel, que c’était lamentable d’être mainstream comme ça parce qu’on parlait de féminisme… » Si être féministe est devenu mainstream, eh bien on est dûs pour s’asseoir et jaser des véritables visées de cette lutte.

Dans l’optique d’en faire davantage pour la cause des femmes en musique, Flore a justement démarré tout récemment un podcast mensuel féministe, intitulé Cherchez la femme, via Tsugi Radio. Et ça n’a rien de mainstream! « Le but est de faire entendre la musique de ces femmes trop souvent restées dans l’ombre, et donner la parole à certaines d’entre elles par un entretien autour de leur place de femme dans un milieu résolument masculin », peut-on lire à propos de l’émission.

En terminant, sur votre téléphone portable, quelle est la dernière chanson que vous avez écouté?

Flore : « Un titre de The Art of Noise, Love. Je me suis arrêtée à 4:49, j’avais presque fini. Ça devait être sur mon vélo ce matin. »

Charles : « Moi c’est un morceau de Robert Glasper, nominé aux Grammy, avec un chanteur qui s’appelle Phoelix. C’est un très très beau morceau soul, un piano magnifique. »

Crédit photo: Facebook

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