Chroniques

Entrevue : les horizons créatifs de Tina-Ève

Rencontre avec la musicienne et autrice québécoise Tina-Ève à propos de son plus récent album Entre deux éboulements, paru cet automne sous l’étiquette Productions EM.

La native de l’ouest de Montréal Tina-Ève Provost livrait un second album en carrière le 4 septembre 2020. Celle qui fêtait ses 30 ans il y a quelques jours à peine fait partie de ceux et celles pour qui la plume est un don. À peine est-elle entrée à l’École Nationale de Théâtre du Canada en 2019, qu’elle a composé et enregistré Entre deux éboulements, un disque fort de sept chansons folk-pop qui rappellent les Diane Dufresne, Linda Lemay et Marie-Pier Arthur de ce monde.

Outre les nombreuses bourses et distinctions que la jeune femme a récoltées depuis ses débuts, elle obtient un diplôme de l’École Nationale de la chanson de Granby en 2010. Non seulement elle travaille d’arrache-pied pour se perfectionner dans son art, Tina-Ève se consacre depuis peu à aiguiser sa plume théâtrale, afin d’explorer de nouveaux horizons créatifs. Le Canal Auditif s’est entretenu avec l’artiste à propos de ce qui se passe pour elle ces temps-ci.

LCA: Comment en es-tu venue à joindre le théâtre et la musique, à te dire : hey, je veux m’inscrire dans des études en écriture théâtrale. Comment ça s’est passé dans ta tête?

T-È: « J’ai toujours eu un rapport très fort au texte. Ma pulsion de base n’est pas de prendre ma guitare et de faire de la musique, c’est d’avoir quelque chose à dire et à raconter. J’avais envie d’explorer une parole qui pouvait être plurielle. C’est-à-dire faire parler des personnages et d’avoir plus d’espace pour m’exprimer — parce que la chanson, c’est bref. Puis d’abord, lorsque j’écris du théâtre, je pars souvent d’une question. Par exemple, je parle beaucoup d’ambition puis du rapport à la performance, ce sont des trucs qui m’habitent dans ma vie. Alors, comment gérer la performance? Est-ce que c’est vraiment l’accomplissement qui rend heureux? On a tellement besoin de s’accomplir, mais ça peut être souffrant. On travaille comme des malades, on s’épuise, etc. Il est où le sens? Et j’ai juste plus d’espace en théâtre pour explorer ces questions-là. »

LCA: On est curieux : qu’as-tu soumis comme texte, au moment de ta demande d’admission?

T-È: « Il fallait écrire une pièce qui devait aborder les dualités et les oppressions sociales faites aux femmes. J’ai imaginé un parallèle avec l’animus. Dans chaque femme, il y a une part masculine, qui se veut plus « rationnelle », l’autorité, l’indicatif, l’énergie d’action. Mon personnage était quelqu’un qui voulait écrire et qui avait de la difficulté à passer à l’acte, à prendre parole, une femme qui se démène avec les pressions sociales, qui tente de trouver sa flamme intérieure. »

LCA: Dans ce que tu décris de ton texte, on a l’impression de voir des thèmes qui se retrouvent dans ton album. Les dualités, l’intimité, la force intérieure. Est-ce que l’un a inspiré l’autre ? 

T-È: « Oui, ça revient toujours. Le rapport au couple, à l’argent, au bonheur aussi. Le rapport au corps, pas encore, mais je pense bien que ce sera ma prochaine étape. Pis le bonheur, moi c’est quelque chose qui m’inspire beaucoup, d’être bien. D’être heureuse entre deux éboulements, comment on arrive à faire ça? »

LCA: Puis, Entre deux éboulements, qu’est-ce que tu veux dire par là?

T-È: « Pour moi, entre deux éboulements, c’est vraiment le moment où t’es profondément animé d’un bonheur intense. Ça peut être des choses anodines, comme un rayon de soleil qui entre par la fenêtre et où tu te dis : ah nice, je suis content(e) d’être en vie. Mais tu le sais que le soleil va passer et que ça ne durera pas. Ou comme un super beau moment avec un(e) ami(e), un fou rire, une bonne nouvelle. Pis entre deux éboulements, ce sont ces petits moments d’extase-là qui ne sont pas permanents. Je pense que d’être heureux c’est d’accepter que rien n’est permanent. Moi ça partait d’une rupture amoureuse, tu sais. Quand t’as passé le boutte où tu te sens vraiment comme de la merde, pis que t’es à terre, puis que tu réalises que tu étais heureux(se) avant aussi, que la vie c’est l’fun même si t’es seul(e). Ce moment où tu te sens forte, en équilibre. T’espère toujours que ton ex te vois dans ces moments forts-là, durant lesquels rien ne t’arrête. (rires) C’est de ça dont je parle dans ma chanson titre. »

Tina-Ève compose des textes sur le besoin d’accomplissement de soi, ou encore sur le bonheur après les relations amoureuses; des thèmes universels et rassembleurs auxquels n’importe qui peut s’identifier. 

LCA: Au moment d’enregistrer ton premier album, tu as confié la réalisation à Gilles Brisebois (Jean Leloup). Pour le bien de ton précédent EP On aspire à mieux (2017) ainsi que pour Entre deux éboulements, tu as fait appel à la vision de ton jeune ami sherbrookois Marcus Quirion. Qu’est-ce qui a motivé ton désir de travailler avec lui?

T-È: « Cette fois-ci, j’avais envie de travailler avec quelqu’un comme Marcus, parce qu’en tant qu’auteur-compositeur-interprète lui-même, il a un rapport au texte qui est très particulier. Marcus connaît le chemin d’une toune, il sait ce que ça veut dire. En fait, Marcus est vraiment au service de la chanson puis ça, ça aide tout mon univers. Et c’est lui qui m’a présenté Julien Thibault et Simon Bilodeau (Edwar 7) qui ont joué sur l’album. J’avais envie de triper plus, d’être plus à égalité si on veut?

LCA: Est-ce que tu dirais qu’Entre deux éboulements est une oeuvre qui te ressemble davantage? 

T-È: « Définitivement. Je considère qu’il y a des moments vraiment pop dans cet album-là, y’a vraiment une partie de moi qui aime ça « chanter », pis les duos cheesy!  Je me suis permis d’assumer cette culture pop à la Lara Fabien, Ginette Reno… Un vrai plaisir coupable! J’écoutais ça avec ma mère, plus jeune. Ça représente mon enfance. C’est pas nécessairement du Ginette Reno que j’veux faire, là, loin de là, mais peut-être que j’en suis teintée. »

LCA: Dis donc, adolescente, quel CD as-tu usé à la corde ? 

T-È: « J’ai composé une chanson sur Dompter la bête qui s’appelle Fais moi croire, et elle parle des trois principaux auteurs qui m’ont marqué durant l’adolescence. Il y a Dédé Fortin, Richard Desjardins et Patrice Desbiens — un poète franco-ontarien. Ce sont vraiment trois voix, trois écritures qui m’ont bouleversées parce qu’elles sont raffinées, crues, crunchy, vulnérables — surtout Dédé — et transparentes, généreuses. Desjardins a quelque chose de tellement virtuose. J’en reviendrai jamais, comme ses chansons sont belles. Au début, je ne trippais pas sur lui, je me demandais quelle était cette voix? Mais c’est devenu une voix qui me guide, une vraie révélation pour moi.

L’album Entre deux éboulements de Tina-Ève est disponible partout et sur toutes les plateformes de téléchargement.

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