Entrevue: Kinkead, ou faire de l’art 24/7
Zoom party matinal avec les jumeaux Henri et Simon Kinkead. Leur premier album Migration est paru vendredi dernier : on en a évidemment parlé, mais on a également jasé de la vie, de leur amour partagé pour Fall Out Boy ainsi que des meilleures déclinaisons du grilled-cheese… entre autres.
Qui dit Zoom party, dit « pyjama »! Pour ma part, j’étais entièrement vêtue de mou — c’était bel et bien la première fois que j’exécutais une entrevue en pyd’j, on s’entend –, tandis que les jumeaux Kinkead ont opté pour le semi-mou, « un top mou pis des pantalons propres, mettons », note Simon. Bien joué. « À Québec, y’a une p’tite neige fondante qui tombe. C’est un peu le mood là. Cotton ouaté, café froid, mélancolie », ajoute-t-il.
Sans prendre de détours, je leur demande comment se passe la période post-sortie d’album. Henri rétorque avec une légère amertume dans la voix que la prochaine affaire, ça aurait été de partir en show, « de jouer les tounes après les avoir réfléchies pis toute. Mais là, ben on se revire de bord et on continue à travailler pis à se réorienter vers d’autres projets musicaux, tranquillement pas vite ». Leur dernière prestation devant un public remonte au festival Phoque OFF en février 2020.
Pour éviter de trop parler de la COVID-19, je bifurque vers un sujet plus léger. « Pour l’fun, qu’est-ce que vous écoutiez most of all durant l’adolescence ? J’ai BESOIN de savoir », ai-je demandé. Les deux s’entendent sur le genre emo pop-punk, que j’affectionnais tout autant que Simon et Henri. « On aimait plein d’affaires, mais Fall Out Boy, là! Surtout From Under The Cork Tree (2005) pis Infinity On High (2007), vraiment deux masterpieces. Sum41 aussi, blink aussi bien entendu, même si c’est moins emo », me décrivent-ils.
Dans le premier EP 1995 du duo, on peut effectivement entendre ces influences-là d’emo pop-punk, de rock à la Simple Plan. Même qu’avant de bâtir ce projet entre frères, Simon et Henri faisaient dans l’indie-folk auprès du groupe Gilles. Difficile d’en croire nos oreilles, puisqu’avec le LP Migration, les Kinkead s’en vont dans une toute autre direction grâce à la pop et au groove « discoish » assumé. Je les interroge à savoir ce qui s’est passé entre 2018 et aujourd’hui.
Henri pense que c’était dans la suite logique des choses d’aller vers la pop, après avoir exploité la pop-rock et l’indie-folk. Simon, quant à lui, croit que l’album représente davantage un changement d’identité plus qu’un nouveau son, en soi. « Tsé, dans le sens que le premier EP, c’est pas mal ce qu’on a « toujours fait », sans y réfléchir », explique-t-il. Henri ajoute que lui et son frangin possèdent un style d’écriture qui est « très introspectif, personnel », mais qu’ils avaient envie que ce soit la fête durant leurs prestations. « On s’est demandé comment faire cohabiter ces deux réalités là », précise Henri.
Alors oui, changement dans l’identité, visuelle, sonore, mais surtout dans l’identité. Apprécient-ils être reconnus comme des artistes queer? Est-ce une étiquette qui leur colle à la peau, comme les médias l’insinuent? « Ben je pense qu’on est des artistes queer dans la mesure où on fait la promotion de ce message-là et de cette esthétique-là, pis des fois, y’a certains journalistes qui ont repris le terme « queer-pop », puis ça, j’suis pas à l’aise avec ça. La musique queer est issue de la culture drag et de la musique de club, tsé mettons c’est pas nous ça. La musique qu’on propose n’est pas queer, mais dans notre démarche artistique, dans la présentation du truc, il y a le souci d’intégrer le ça [le queerness]. On veut surtout donner de la visibilité à cette communauté-là, parce qu’on trouve ça important et parce que c’est nous autres », argumente Henri.
Comme les jumeaux n’ont pas grand chose à faire ces temps-ci — pandémie oblige –, ils se concentrent à nouveau sur l’exploration musicale. À quoi le prochain album ressemblera? Henri et Simon abondent dans le même sens, celui d’expérimenter la créativité individuelle.
Pour Henri, c’est la musique. Simon lui, se concentre sur l’écriture.
« Moi je me nourris de littérature surtout québécoise, comme Réjean Ducharme et Germaine Guèvremont. En faisant ça, je tente d’aller piger dans des trucs plus intellos pour être capable de parler d’autre chose que juste mes émotions pis ma détresse, ajoute-il. Je continue de donner de l’importance aux mots, à l’écriture de chansons. Dans le futur, on va surtout écrire chacun de notre côté pour ensuite mettre ça ensemble, pour avoir cet espace-là d’écriture personnelle. Parce que malgré qu’on soit un duo, tout part d’une base individuelle, pis on fait se rencontrer nos univers » précise Simon, qui prend actuellement un cours de littérature à l’université pour le plaisir. On se rappelle que ce dernier a obtenu un baccalauréat en enseignement au printemps. (Ça chôme pas, dans cette famille!)
Henri le bachelier en psychologie s’immerge quant à lui dans l’histoire des musiques québécoises pour se nourrir. « J’veux pas trop vendre la mèche, mais c’est ça, je joue encore de la contrebasse et je travaille sur une façon d’intégrer la musique traditionnelle québécoise dans un processus de création musicale moderne ».
Et puis quelle est la chanson qu’ils aiment le plus de Migration? Simon répond sans hésiter que Lâcher prise représente la forte dualité entre vouloir se « caser » ou se risquer à réaliser nos rêves à la sortie de l’école. « Musicalement, elle est très pop, mais qu’il y a quelque chose de cru dans ce message-là, qui est [présenté] d’une façon vraiment à point », ajoute-t-il. Justement, celui-ci trouve qu’il a choisi une profession — l’enseignement — plutôt ardue. « Eille, c’est though, « être » professeur… Sérieux, je pense que les gens sous-estiment à quel point c’est incroyablement demandant comme job. À ceux qui y sont dédiés, j’ai une admiration sans bornes pour eux. »
Vous vous en doutez, les garçons Kinkead troquent aujourd’hui leur diplôme pour être des artistes 24/7. « Sans dire : fuck l’école, parce que le l’école prenait beaucoup de place, ni fuck le sport. On a réussi à jongler avec ces passions-là pendant quelques années mais là, on a envie de faire de la musique à temps plein », s’entendent-ils.
Pour conclure la discussion, je demande aux Kinkead de quoi ils sont le plus fiers de ce premier disque. « Les plus beaux commentaires qu’on a reçu, c’est que l’album fait du bien aux gens. C’est un beau voyage tant introspectif, que pour faire danser les gens en se cuisinant un sauté au tofu », rétorque Henri, à la blague.
P.S.: Les jumeaux Kinkead ont des trucs culinaires à offrir aux âmes en peine.
Henri : Mettre de la mayo à l’intérieur de ton grilled-cheese, au lieu du beurre, pis avant de le mettre dans la poêle.
Simon : Un grilled-cheese au végépâté, c’est vraiment bon. Je connais une dame qui fait de l’excellent végépâté, je lui en achète souvent. Euh quoi d’autre? De la croustade aux pêches! J’aime beaucoup faire des desserts.
Pour écouter, télécharger et acheter l’album Migration de Kinkead, c’est par ici.
*Cet article a été rédigé en collaboration avec Artifice.
Crédit photo: Villedepluie