Chroniques

Blur

Parklife

  • Food
  • 1994

Il y a des albums qui vieillissent mieux que d’autres. Ce n’est pas nécessairement parce qu’ils sont meilleurs, mais parce qu’ils sont parvenus à capturer quelque chose d’intangible, à la fois ancrés dans le passé et pourtant résolument tournés vers le futur. Véritable classique de la Britpop, Parklife de Blur fait partie de cette catégorie et s’écoute encore aujourd’hui comme à sa parution il y a déjà 25 ans.

D’une certaine manière, Parklife est un peu une sorte de condensé de l’histoire du rock britannique. Sur Tracy Jacks, la troupe de Damon Albarn rappelle les Kinks et l’âge d’or de la British Invasion, tandis que la punk Bank Holiday nous renvoie aux beaux jours des Buzzcocks. Il y a également la folk psychédélique à la Donovan sur Badhead, tandis que l’interlude Debt Collector se veut un hommage à Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, avec ses arrangements de cuivres baroques. Ma préférée demeure peut-être Clover over Dover, avec sa superbe introduction de clavecin qui évoque toute la richesse orchestrale d’un groupe comme les Zombies.

Même dans ses paroles, Parklife se veut un pur produit de la culture britannique, et particulièrement de la vie londonienne des années 90. Ça commence en force avec la dansante Girls & Boys et sa célébration de l’amour non-binaire sur fond de musique qu’on croirait sortie tout droit de la culture des clubs. End of a Century, elle, aborde la banalité du quotidien en décrivant cette vie qui n’a « rien de spécial ». Cette même banalité traverse également la chanson-titre, cette fois avec la voix de l’acteur Phil Daniels, qui jouait le rôle principal dans le film tiré de l’album Quadrophenia des Who. Il y a bien sûr la référence évidente de London Loves, mais aussi cette drôle de fascination pour les centres d’achat sur Magic America, sans oublier la superbe This Is a Low, inspirée par un bulletin de prévisions maritimes de la BBC.

Ce côté très « British » explique peut-être d’ailleurs pourquoi l’album n’a pas eu le même retentissement de ce côté-ci de l’Atlantique. S’il a atteint la première position des palmarès en Grande-Bretagne, il n’a pu faire mieux qu’une 45e place au Canada (quoique la chanson Girls & Boys a grimpé en quatrième position sur le Billboard). N’empêche, Parklife est vraiment l’album qui a établi les standards de ce qu’on allait appeler la Britpop et demeure encore probablement ce qui définit le mieux le genre aujourd’hui, n’en déplaise à Oasis et aux charmants frères Gallagher.

Un groupe à la croisée des chemins…

Bien sûr, on a tendance aujourd’hui à considérer l’héritage de Parklife en fonction de ce que Blur en est venu à représenter pour nous après quelque 30 ans de carrière : sa rivalité avec Oasis, son statut de groupe-culte du mouvement Britpop, le méga-succès que Damon Albarn allait ensuite connaître avec Gorillaz… Mais au moment d’entrer en studio en août 1993 en vue d’enregistrer son troisième album, la troupe se trouve déjà à la croisée des chemins. Son album précédent, Modern Life Is Rubbish ne s’est pas bien vendu, malgré des critiques positives. Sur le plan stylistique, les gars n’ont pas non plus trouvé un son distinctif leur permettant de laisser leur marque, encore trop influencés qu’ils sont par les Stone Roses et les Happy Mondays.

Le potentiel du groupe était déjà évident, certes, et même si Modern Life Is Rubbish n’avait pas produit de hit majeur, il marquait néanmoins un pas en avant par rapport à Leisure, lancé en 1991. Mais Parklife reste le disque le plus accompli de Blur, celui qui allait paver la voie pour The Great Escape et l’album éponyme de 1997 (oui, celui avec la toune 2). Peut-être en raison de sa situation financière précaire à l’époque, on y sent un groupe habité par un sentiment d’urgence, à la fois conscient de la qualité des chansons qu’il a entre les mains, mais en même temps caractérisé par cette attitude un brin désinvolte et, disons-le, effrontée qui lui va si bien désormais.

Pourtant, l’album ne fait pas l’unanimité dans l’entourage de Blur au moment de sa sortie. Le grand patron de la maison de disques Food, David Balfe, aurait dit « c’est une erreur », selon ce que raconte John Harris dans son livre Britpop! Cool Britannia and the Spectacular Demise of English Rock. La suite est connue : Balfe va vendre sa compagnie à EMI, tandis que Parklife établit les standards d’un nouveau son. Quatre mois plus tard, Oasis lance son premier album Definitely Maybe et les deux groupes deviennent les porte-étendards de la Britpop. Puis, en 1995, Blur et Oasis lancent leur nouveau simple le même jour, et une rivalité digne de celle des Beatles et des Rolling Stones est née, au grand plaisir de la presse spécialisée britannique…

Un héritage à revisiter

Aujourd’hui, l’héritage du troisième album studio de Blur reste difficile à qualifier d’une façon qui lui rendrait pleinement justice. C’est un excellent album, certes, mais qu’est-ce qui en fait un disque d’exception, au juste? Au même titre qu’on a canonisé les Smiths pour leur capacité à dépeindre la marginalité de la vie des gens ordinaires sur fond de riffs de guitare bien ciselés, Parklife est une preuve qu’un album peut être à la fois pop et lucide, logé quelque part entre divertissement et commentaire social aiguisé. Que le groupe ait réussi à faire un album qui soit autant le témoin de son époque qu’une synthèse de la pop britannique reste aussi un exploit.

Parklife est aussi un album qui symbolise tous les paradoxes de l’indie rock, ce genre galvaudé qu’on ne sait plus comment définir, tellement il englobe tout et son contraire. Comme l’a souligné David Machin (oui, c’est son vrai nom), un spécialiste de la sémiotique qui s’est intéressé à la Britpop dans son livre Analysing Popular Music : Image, Sound, Text, Blur incarne ce courant ayant décidé qu’il est possible d’être indie et grand public en même temps : « le pic de popularité de Blur leur a permis d’avoir leurs photos partout dans la presse musicale. L’apparence de Damon Albarn leur a aussi permis de plaire à un public féminin plus jeune. »

Ouep, je viens d’écrire au-delà de mille mots sur l’héritage de Parklife pour conclure sur la belle gueule de Damon Albarn. Comme quoi tout est dans tout.

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