André Pappathomas | Entrevue : 30 ans plus tard, toujours la même soif créatrice
31 ans après la première édition de Chœur et chorégraphes, André Pappathomas et son ensemble Mruta Mertsi, propose une neuvième édition de cet événement où le chant choral et la danse se rencontrent.
Du 8 au 12 mai, à l’Agora de la Danse, le compositeur André Pappathomas et son ensemble Mruta Mertsi (on va expliquer le nom plus tard) présenteront la neuvième édition de Chœur et chorégraphes. D’abord prévue avant la pandémie, elle aura été reportée à quelques reprises pour enfin vivre au cours des prochains jours. Cette édition se fera en collaboration avec les chorégraphes Lucie Grégoire, James Viveiros et Charles Brécard & Maïka Giasson.
Comment on choisit ses collaborateurs?
Pour une œuvre aussi atypique que celle-ci, je me demandais comment André Pappathomas choisissait ses chorégraphes. Celui-ci est loin du plan de conquête du monde. Il dit même, un peu surpris, qu’il ne s’est jamais posé la question et qu’il va vers des chorégraphes dont il connaît un peu le travail. Mais ses prochaines paroles vont dissiper tout doute qu’il ne sait pas exactement pourquoi il travaille avec chacun d’eux : « à partir de Lucie Grégoire, qui est la doyenne des chorégraphes interprètes encore actives, je ne sais pas, bon, c’est une considération liée à l’âge et liée surtout à la maturité du geste de la conception chorégraphique. Ses conceptions chorégraphiques sont d’ailleurs devenues très posées, très sages avec le temps. Donc, à partir de ça, il m’est venu tout de suite l’idée d’aller, de jouer sur ce terrain, donc d’avoir quelqu’un de plus jeune, de carrément plus jeune, je veux dire, des dernières générations arrivées, et quelqu’un, un coup parti au milieu. »
C’est une connaissance qui lui a parlé de James Viveiros qui a dansé pour Marie Chouinard. « Sa gestuelle est, je trouve, pleine de caractère, de force et de maturité aussi. Elle est très esthétique. Lui, il est tout de même vers la fin de la quarantaine, bon, ça paraît, il dégage quelque chose d’ancré. » Finalement, pour Charles Brécard, l’idée de collaborer datait d’avant la pandémie. André Pappathomas se rappelle que : « ce qui m’intéressait beaucoup, évidemment, c’est sa jeunesse et sa fougue. Je lui ai proposé de travailler en couple, en duo, avec une autre femme. » Ainsi s’est joint au projet Maïka Giasson.
Ses collaborations ne s’arrêtent pas aux chorégraphes. Les membres de Mruta Mertsi changent aussi avec le temps. Dans la configuration qu’on verra ici, on retrouve notamment l’autrice-compositrice-interprète Jeanne Laforest et Éliane Bonin, une artiste de cirque qui a chanté pour la première fois avec le chœur il y a plusieurs années. « Eliane, j’ai travaillé avec elle. Elle était dans le chœur dans les années 90. Oh, mon Dieu, elle était toute jeune. Puis, au début des années 2000, elle était dans le chœur qui est allé à Victo (le Festival Musique Actuelle de Victoriaville). Quand j’ai créé, monté cette édition-ci, j’ai pensé à elle. On ne s’était pas vus depuis longtemps. Puis, wow, parce qu’elle chante bien, cette fille-là. »
Se laisser porter par la création
Pour construire cette neuvième édition, André Pappathomas a fait le pari de la page blanche. « Elle se bâtit à partir des propositions chorégraphiques. Donc, c’est sûr que c’est totalement adapté à ce qui est proposé par les chorégraphes. C’est vraiment le chœur, la musique et les chorégraphes, mais pour, en bout de ligne, créer un objet, un seul spectacle qui a son début, son dénouement et son aboutissement. Parce que c’est quand même une approche, je dirais, peut-être pas loin d’être unique. En tout cas, c’est très rare. C’est très rare. »
Ce qui est encore plus audacieux, c’est qu’André Pappathomas et son chœur créé à partir d’improvisations dirigées. Ce n’est pas une mince affaire. Cette technique de construction, le compositeur la travaille depuis les années 90. Puis, le chœur entre aussi dans la chorégraphie pour que le tout ne devienne qu’un. La composition du chœur évolue en fonction du spectacle. Par exemple, Lucie Grégoire est accompagnée par un duo de ténor.
Cette manière de voir l’interdisciplinarité est vraiment ancrée profondément dans la pratique artistique d’André Pappathomas. Lorsqu’il se plonge dans ses éditions précédentes, son regard s’illumine lorsqu’il raconte la manière que Marc Béland avait livré des textes de Claude Gauvreau dans la dernière édition de Chœur et chorégraphes.
Attiré par l’audace artistique depuis 30 ans
J’ai demandé à André Pappathomas comment il en arriva à lancer Mruta Mertsi. Au cours des années 80, il jouait principalement de la basse, « une Ibanez qui pèse 30 livres », dans des groupes de rock et de free jazz. Jouant à l’oreille, il a appris en côtoyant Pierre Murray, Charles Papasoff et Robert Leriche. Grand fan de Frank Zappa, pendant une certaine période, il ne manquait aucun de ses passages à Montréal et à la fin de ses concerts, Zappa dirigeait ses musiciens comme un chef d’orchestre. Cela a marqué le jeune André Pappathomas qui rêvait d’en faire tout autant.
Le changement de cap s’est fait après qu’il ait travaillé sur une composition qui tournait autour de l’univers du théoricien du théâtre et dramaturge Antonin Artaud. C’est d’ailleurs de ce dernier qu’il tient le nom du chœur. « Antonin Arthaud, c’est l’animalité. C’est le corps de la voix. C’est la voix, le corps qu’on utilise en tant que corps, qu’on concède à la voix. Et la voix a le corps dans son expression, même en silence. Et ça, ça m’a inspiré. Ça m’a entré dans quelque chose de magnifique. Et cette espèce de liberté très, très grande liée à l’art, liée à la réflexion sous-jacente à cette considération de la voix comme centre du corps, a fait que le réflexe que j’ai eu, c’est de réunir des gens. »
Une annonce dans un magazine Voir naissant et 28 personnes se réunissaient autour d’André Pappathomas pour les premières expériences de Mruta Mertsi qui durent, 31 ans plus tard.
Chœur et chorégraphes 9 sera présenté du 8 au 12 mai à l’Agora de la Danse.
*Cette entrevue a été réalisée en collaboration avec l’Agora de la Danse.
Crédit photo: Alexis Vigneault