Robert Nelson
Nul n’est roé en son royaume
- 7e Ciel
- 2019
- 45 minutes
Robert Nelson, c’est un personnage important de notre histoire. Figure de proue des Patriotes, anglophone, il est connu comme l’homme qui a déclaré l’indépendance du Bas-Canada en 1838. Par contre, si on google « Robert Nelson », on tombe beaucoup plus souvent sur Ogden Ridjanovic, qui a emprunté ce nom pour la scène. Un autre genre de figure de proue en somme, pour le hip-hop dans son cas. Moitié de Rednext Level, leader d’Alaclair Ensemble, fondateur du Punch Club, il porte son univers sous divers chapeaux. Après tout, Alaclair s’est longtemps décrit comme « du rigodon bas-canadien » et ils ont sorti Le roé c’est moé (2011). Le thème de la royauté est revenu avec Les filles du roé produit avec Kaytranada, en 2012. Avec Nul n’est roé en son royaume, son premier album solo, Ogden réussit à exprimer ce qu’il avait souvent réclamé avec Alaclair : se réapproprier un langage et des traditions en les tordant avec la culture hip-hop.
Dans Le ruisseau est motivé, il évoque la fameuse déclaration d’indépendance du Bas-Canada en disant « Depuis 1832 qu’on l’a clairement déclaré, pourquoi tu parles de ton référendum ». L’utilisation de personnages marquants est aussi prétexte pour parler d’une vision politique. Dans le premier extrait Jacques Plante, il parle bien évidemment un peu du gardien célèbre du Canadien, mais aussi d’une certaine vision de la société :
«Tsé qu’nous là, on a personne sul banc erybody dans mon team sa glace
On a déjà toute c’qui nous faut à maison erybody dans mon team papa Gotta get workin pain s’a planche pour du butter pis des bines s’a table
On est yink sept millions dans place erybody dans l’Bas get busy right now»
–Jacques Plante
Jacques Demers emploie un peu le même procédé. Elle parle pas mal plus de musique que n’importe quoi d’autre, avec un Koriass en pleine forme comme collaborateur.
La musique est d’ailleurs très « familiale », avec les collaborations de Caro Dupont, d’Eman et de KNLO. Le flow est incroyable et le mix aide à mettre totalement de l’avant les textes d’Ogden. On ressent une familiarité dans le son, car il n’est pas si loin de celui d’Alaclair. Les mélodies peuvent être rentre-dedans aussi : Flambant neu en est aussi un bon exemple, avec un beat plus lourd.
Si Nul n’est roé en son royaume était une pâle copie du matériel d’Alaclair, ce disque serait complètement inintéressant. Or, plusieurs des textes de Robert Nelson – sinon la majorité – abordent le deuil, la capacité de s’en sortir et l’espoir de rebondir malgré l’adversité.
Il ne se cache pas de ce virement de ton d’ailleurs. Flambant neu va droit au but en clamant qu’on ne « [l]’a jamais vu comme ça », tout en résumant son parcours. Lucioles aussi est très touchante en abordant le deuil de son ami Bernard Carignan, mort dans un accident de vélo. L’importance qu’a eue cette mort sur la suite de sa vie est racontée de manière vraiment simple et sincère, sans grande esbroufe. L’album lui est d’ailleurs dédié. Lucioles contient aussi un clin d’œil à Je joue de la guitare de Jean Leloup, alors qu’Ogden parle du « tout petit instant de lucidididité » amené par la perte. Chimie, quant à elle, aborde la peine d’amour et les regrets face à cette relation qui n’a pas fonctionné.
Nul n’est roé en son royaume est un grand album, qui confirme l’importance de Robert Nelson dans la scène québécoise. Un album d’un roi avec ses fragilités, ce qui nous donne confiance pour gouverner sur le territoire du Bas-Canada… ou du rap québ’.