Dave Matthews Band
Come Tomorrow
- RCA Records
- 2018
- 55 minutes
Véritable institution aux États-Unis, le Dave Matthews Band a construit une sorte de culte autour de lui, avec une légion de fans qui accompagnent le groupe sur la route, à la façon du Grateful Dead. Pour la plupart quinquagénaires, Dave et ses comparses prouvent qu’ils ont encore l’inspiration sur leur nouvel album Come Tomorrow, leur premier en six ans, même s’ils semblent avoir remisé leur militantisme.
Je suis bien conscient que le Dave Matthews Band n’est probablement pas un groupe très prisé parmi les mélomanes avides de musiques aventureuses ou éclectiques. Pour plusieurs raisons, le groupe originaire de Charlottesville, en Virginie, a longtemps été perçu comme un peu ringard, une sorte de croisement entre la pop grand public de Coldplay, le ton moralisateur de U2 et un jazz-funk jugé trop cérébral.
Il est vrai qu’on a encore du mal à savoir à quelle enseigne le groupe loge, avec son rock aux accents parfois prog (The Stone, Drunken Soldier), parfois funk (So Much to Say) et ses ballades un peu sirupeuses (Crash Into Me, The Space Between). La bande a connu sa période la plus créative dans les années 90, avant de produire quelques albums oubliables dans les années 2000. Mais en 2012, le groupe a renoué avec le réalisateur Steve Lillywhite pour produire le plutôt réussi Away from the World, avec un accent sur la force des chansons plutôt que sur les solos et les jams.
Come Tomorrow s’inscrit dans cette lignée, avec des chansons qui mettent en avant le personnage et la voix de Matthews, ce qui laisse moins de place aux instrumentistes. Le violoniste Boyd Tinsley ne joue d’ailleurs que sur une seule pièce, lui qui a été congédié par le groupe après avoir été accusé d’agression sexuelle. Par contre, le saxophoniste LeRoi Moore, décédé en 2008, se retrouve sur les pièces Can’t Stop et Idea of You, qui font partie du répertoire en concert du Dave Matthews Band depuis des années et dont des enregistrements avaient donc pu être conservés.
L’album démarre en force avec l’excellente Samurai Cop (Oh Joy Begin). Bien plus qu’un clin d’œil au film culte du même nom, il s’agit plutôt d’une ode à l’enfance, avec Matthews qui s’émerveille devant l’arrivée d’un nouveau-né. Le riff de guitare, que n’aurait pas renié The Edge, se révèle fort efficace, soutenu par le jeu inspiré de Carter Beauford à la batterie. La chanson Idea of You constitue un autre moment fort, avec de brillants arrangements de cuivres et un refrain épique. La ballade acoustique Here On Out, au style franchement dépouillé, atteint, elle aussi, la cible.
Évidemment, il y a aussi des longueurs et des moments où Matthews et ses acolytes tombent dans une forme d’auto-indulgence, comme s’ils ne savaient pas où s’arrêter. La voix forcée de falsetto sur That Girl Is You finit par agacer, et on comprend mal où la formation souhaitait en venir avec un tel effet. Même chose pour Virginia in the Rain, qui s’étire un peu inutilement au-delà de la barre des six minutes.
Mais la grande faiblesse de l’album se situe au niveau des textes. Dave Matthews a toujours été à l’avant-plan d’un rock engagé, prenant position pour la reconnaissance des droits de la communauté LGBTQ ou la lutte contre les changements climatiques. Mais sur Come Tomorrow, il semble avoir remisé son militantisme pour se complaire uniquement dans les chansons d’amour. Certes, ses préoccupations ont changé avec l’âge. Ainsi, si en 1996, il espérait pouvoir coucher avec une fille tout en demeurant son ami après (Say Goodbye), aujourd’hui, il espère faire l’amour avec sa femme sans réveiller les enfants (Can’t Stop). En fait, c’est sans doute la chanson-titre de l’album qui traduit le mieux son état d’esprit, alors qu’il semble vouloir passer le flambeau à la future génération en disant :
« So as far as I can see
A better way for you and me
Is to let the children run the show
Not too long and we’ll be good to go ».
– Come Tomorrow
Ça n’enlève rien à ce Come Tomorrow, qui s’inscrit parmi les bons crus du groupe en matière de qualité des compositions. Mais considérant le contexte politique aux États-Unis, et sachant que le groupe s’est toujours fait le champion de la mixité raciale (le groupe compte presque autant de noirs que de blancs), on attendait quelque chose de plus engagé, encore plus après la commotion provoquée par les rassemblements de l’extrême-droite de l’an dernier à Charlottesville, où le groupe est basé.