Mount Eerie
Now Only
- P.W. Elverum & Sun
- 2018
- 44 minutes
En mars 2017, Phil Elverum lançait sous son pseudonyme Mount Eerie un album qui allait profondément marquer/déprimer/toucher tous ceux qui ont été capables de l’entendre au complet. A Crow Looked at Me était rien de moins qu’une tentative d’exorcisme du deuil qui accablait Elverum depuis le diagnostic de cancer puis la mort de sa femme Geneviève Gosselin (alias Geneviève Castrée et Ô Paon, entre autres).
À peine un an plus tard, il lance Now Only, essentiellement le deuxième tome de la même masse de compositions sur le même sujet (certaines faisaient d’ailleurs partie des concerts de Mount Eerie quelques semaines à peine après le lancement d’A Crow). Comme on peut l’imaginer, Elverum est encore ravagé par le deuil. Comme il le souligne lui-même dans la chanson-titre, prendre la route et chanter ces chansons pour des étrangers n’a pas vraiment aidé à atténuer la douleur. Mais peut-on vraiment souhaiter d’arrêter de souffrir quand on sait que c’est le souvenir de l’être aimé qui nous fait mal ? L’oubli semble un lot bien pire que le vide déchirant de la perte.
C’est là le nœud de ce Now Only: une fois la mort, l’incinération et l’étalement des cendres passés, que reste-t-il aux vivants ? Des souvenirs qui font mal, et un vague souhait que le corps disparu puisse perdurer d’une façon ou d’une autre. Phil imagine des particules des cendres de Geneviève flottant dans le ciel au-dessus de l’Himalaya, d’autres se mêlant à la terre pour nourrir végétaux et bactéries. Il conserve les créations de Geneviève, la musique qu’elle a enregistrée, les dessins pas encore publiés, tentatives un peu vaines, mais magnifiques, d’atteindre une petite forme d’immortalité, comme Phil avoue l’avoir souhaité lui-même avec sa musique. Et il y a surtout cette enfant qu’ils ont fait ensemble, plus réellement et plus littéralement une version de Geneviève que tout ce qu’elle a pu laisser d’autre derrière elle.
La douleur est moins vive sur Now Only que sur A Crow, mais encore bien présente, et l’ampleur et la profondeur des thèmes couverts donnent le vertige. Ça en deviendrait carrément étouffant si Elverum ne montrait pas des signes d’un retour vers la musicalité de ses vieux albums, surtout avec les deux dernières pièces. Des rimes se pointent tranquillement le bout du nez, les dynamiques varient, l’instrumentation se diversifie juste un peu, et il y a même un vers ou deux qui ajoute une touche d’humour (“The stumps remind me that everything’s fleeting, as if reminding’s what I need.”)
Je comprendrais totalement une personne qui ne verrait aucun intérêt à baigner dans la misère d’un autre et qui trouverait qu’écouter ce que Mount Eerie fait actuellement est un peu dans les mêmes eaux que le voyeurisme. Je répliquerais cependant qu’un artiste qui sait dévoiler ses vulnérabilités au moment le plus pénible de sa vie tout en démontrant des instincts musicaux aiguisés et uniques, comme c’est le cas pour Elverum, est quelque chose de rare. Je dirais que tout mélomane exigeant a le devoir d’y prêter l’oreille.