Critiques

Jean Derome

Résistances

  • Ambiances Magnétiques
  • 2017
  • 60 minutes
8
Le meilleur de lca

Jean Derome est un artiste montréalais actif dans le milieu des musiques actuelles depuis plus de quarante-cinq ans. Compositeur, interprète et improvisateur, il est également cofondateur de l’étiquette Ambiances Magnétiques sur laquelle sont publiés ses albums et autres créations expérimentales et avant-gardistes. Vous avez peut-être vu son nom passer durant l’Année Jean Derome (avril 2015 à juin 2016), qui proposait plusieurs événements rendant hommage à sa carrière et sa contribution à la création musicale québécoise, dont la sortie de l’album Musiques de chambres (2015) et du documentaire Derome ou les turbulences musicales (2015), réalisé par Richard Jutras. Derome est de retour avec Résistances (2017), un album basé sur le thème de l’électricité, performé de façon improvisée par l’Ensemble SuperMusique, qui était accordé pour l’occasion sur la fréquence de 60Hz (celle du courant électrique).

Le piano ouvre Tout part du soleil sur un bouillonnement de percussions étouffées et de souffles imitant la combustion à la surface de l’astre et les éruptions solaires. Les cordes apportent une touche humoristique en ajoutant une sorte de guirlande de bienvenue à l’œuvre. Buzz porte bien son nom avec un montage de bruits de tension électrique qui ponctuent des glissandos aux cordes, faisant la transition vers Étagement des fréquences et son tintamarre percussif soutenu par un roulement de tambour. Les cuivres créent une masse dense et scintillante en parallèle aux harmoniques analogiques, et continuent en crescendo pour terminer sur des aigus stridents. L’ensemble s’estompe et se dégonfle en même temps que les cordes se détendent pendant Aurores boréales, seconde pièce transitoire qui semble dégoûter comme une fin de pluie.

Tableau suit avec une boîte à musique et un piano dissonant, la montée en intensité ressemble justement à une séance d’accordement, jusqu’à ce qu’une ponctuation cuivrée vienne entrecouper la partie improvisée. Le violon un peu nerveux ajoute de la tension et mène à un passage monté en vagues de différentes densités, concluant en filaments de cuivres entrecoupés de chutes percussives. Vamp change complètement l’ambiance en proposant un groove jazz irrésistible et une performance vocale située quelque part entre la virtuosité et l’hilarité, ou un rituel tribal et une soirée cabaret. Le contraste fonctionne merveilleusement bien, comme un interlude entre deux mouvements exploratoires. Le plancher des vaches brise la ligne rythmique et se dégonfle lentement, douloureusement même, pour mener à un passage cacophonique, un peu comme si l’ensemble déboulait la colline au ralenti. La suite donne l’impression que chaque instrument fait sa petite affaire, sans égard à la ligne mélodique. Fréquences-métronomes ouvre sur une série de cliquetis approfondie par un déploiement rythmique créant une espèce de grosse machine à bruits dont les voyants rouges s’allument et s’éteignent frénétiquement pour accompagner l’alarme de feu.

Le piano dissonant prend toute la place sur Tableau-combat, laissant chaque note s’évanouir dans la pièce jusqu’à ce que les cordes commencent à mimer le grésillement électrique et les cuivres à jouer un (dés-) accord comme un orchestre de klaxons. Piétinements enchaîne naturellement sous forme de trame bourdonnante s’intensifiant à partir d’un passage plus rythmique, qui semble imiter la marche d’une tribu se rendant au combat. Les cordes glissent en différents trémolos sur Trois orchestres, texturés par des itérations électroniques et un tintamarre de plus en plus frénétique à la batterie et aux percussions. Le rythme s’ordonne à mi-chemin pour permettre à tous les instruments d’enchaîner à un passage jazz. Moteur deux temps, moteur trois temps fait débouler une suite d’événements sonores en jouant sur la vitesse de réaction et le niveau d’intensité de chaque impact; très comique.

Turbine, virgule passe comme un torrent emportant tous les silences sur son passage, coupant abruptement pour reprendre sa respiration et replongeant dans un tourbillon sonore. Les cris et complaintes vocales rappellent l’incantation tribale pendant que les instruments génèrent un rythme rapide et dense. Mélodie 2 nous ramène à la soirée cabaret et au groove jazz, la guitare rythmique accentue les contretemps pendant que les cuivres étirent les temps pour les rendre élastiques. Danse finale garde le rythme comme un big band sur lequel les solos de violon, trompette et guitare électrique sautillent simultanément sur leurs arpèges respectifs. Orage grésille avec bruits de cordes et ronflement vocal, le frottement assourdissant tombe dans un sommeil à la respiration qui cille.

Résistances de Jean Derome confirme que tout est possible avec un niveau de créativité comme le sien. La richesse de la palette sonore est captivante, intrigante; on se demande quel instrument a bien pu jouer tel bruit. En ce sens, ça sonne moins jazz que sur son album précédent, et plus expérimental avec ses éléments inspirés de la musique bruitiste et du « mickey mousing ». L’œuvre est très amusante, et on dira ce que l’on voudra de la musique actuelle, cette fois-ci, elle est aussi accessible qu’un dessin animé pour enfant.

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