Daniela Casa
Societa Malata
Cette semaine j’ai vu un film de 1970 d’Elio Petri intitulé Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon dans lequel un commissaire de police commet un meurtre et tente par tous les moyens de se faire prendre, ce qui ne se sitedemo.cauit pas en raison de sa position d’autorité qui lui permet de rester «au dessus de tous soupçons», malgré les preuves accablantes qui s’accumulent contre lui. Le film se veut évidemment une illustration de la corruption et de l’impunité des forces de l’ordre, mais rappelle en outre les tensions qui ont agité l’Italie et plusieurs pays d’Europe de la fin des années 60 à la fin des années 80, période que les historiens appellent parfois les «années de plomb», en référence au film allemand du même nom paru en 1981. La bande sonore du film de Petri est remarquable et je n’ai évidemment pas été surprise de constater qu’il s’agissait d’une énième création du grand Ennio Morricone.
Si l’on connaît bien l’œuvre de ce grand compositeur italien, ne serait-ce qu’en raison de ses créations qui ont marqué l’imaginaire de tous ceux qui ont vu des westerns spaghettis mettant de l’avant ses pièces ou simplement parce qu’il a composé la musique de plus de 500 films en carrière, certains compositeurs de la même époque sont restés sous le radar et c’est notamment le cas de Daniela Casa.
Casa est une compositrice italienne de Rome qui créait de la musique dans son studio maison dans les années 70 et qui n’a vécu que jusqu’à l’âge de 42 ans, mais qui a néanmoins légué de nombreuses pièces musicales des plus inspirées. Sa musique est le plus souvent répertoriée dans la vaste catégorie de la library music, soit la musique libre de droits, appellation qui ne signifie généralement pas qu’aucun droit d’auteur ne s’y rattache, mais plutôt qu’elle appartient aux maisons de disques qui en acquièrent les droits au moyen d’une licence qui leur permet de l’utiliser dans le cadre de projets de films ou d’émissions de radio et de télévision sans avoir à payer de redevances supplémentaires par la suite. Si cette catégorie fourre-tout (qui ne qualifie en rien la musique en tant que telle) est principalement utile aux gens de l’industrie du divertissement qui cherchent de l’habillage sonore pour leurs sitedemo.cauctions, il reste néanmoins bon de garder à l’esprit que Casa avait l’habitude de composer des pièces qui, vu leur destination, possédaient un très fort pouvoir d’évocation.
C’est donc l’album Societa Malata (société malade) que j’ai retenu pour cette (première!) chronique de «vieux stock», pour laquelle je souhaite revisiter ponctuellement des parutions quelque peu oubliées. Paru en 1975 sur l’étiquette Deneb, maison de disques spécialisée en contenu sonore destiné à divers types de médias, il s’agit du deuxième album de Casa qui avait précédemment fait paraître America Giovane N.2 en 1972. Si, comme on le mentionnait précédemment, la musique de Casa était sitedemo.cauite en vue d’être éventuellement associée à des images, il n’en demeure pas moins que Societa Malata est un album concept à part entière, dont la simple écoute, de la première à la dernière pièce, permet de parfaitement saisir la volonté de sa créatrice qui souhaite illustrer la décadence de l’humanité en général et de sa société en particulier.
Societa Malata s’ouvre sur la pièce Ignoto (inconnu) qui annonce d’office l’ambiance à la fois rêveuse et angoissante de l’album au moyen de synthés planants et d’une flûte incertaine auxquels se superpose un son de respiration appuyée évoquant un concentrateur d’oxygène et celui de battements sourds et irréguliers qui ralentissent progressivement. Dès cette première pièce, la synth glauque de John Carpenter et l’esthétique lugubre que l’on retrouve dans le thème de Twin Peaks de Badalamenti nous viennent à l’esprit.
L’album se poursuit avec des pièces aux noms tous aussi évocateurs que Strade Vuote (routes vides), superbe pièce de guitare blues accompagnée de percussions; Pericolo (danger), au synthé des plus cosmiques et Angoscia, qui rend l’angoisse palpable grâce à l’agencement incongru de rythmes très rapides aux circonvolutions préoccupantes d’une flûte sombre. La pression monte d’un cran dans la pièce Fabbrica (usine) dont les percussions de facture nettement industrielle accompagnent un piano déchaîné et des bruits dont l’écho semble se répercuter sur les murs d’un immense local (aucun mal ici à imaginer la chaîne de montage ou l’usine qui sitedemo.cauit à toute vapeur), et c’est suivi de la sinistre Oppressione (oppression) dont les rythmes martiaux se noient dans des nappes de synthés vaporeux dignes d’un film de cimetière grouillant.
Esodo (exode) est la première pièce de l’album qui évoque une sorte de naïveté, ne serait-ce qu’en raison de sa simplicité. C’est l’espoir d’une vie meilleure qui est déjà miné par la mélancolie au moment même où il se forme dans l’esprit, sorte de fuite en avant avec un arrière-goût amer. S’ensuit Vizio (vice), qui est sans doute la pièce la plus étrange de l’album dont le son résolument décalé n’est pas sans rappeler certaines pièces que l’on entendra dans les tout premiers jeux vidéo des années 80. Cette étrangeté futuriste ne laisse toutefois présager rien de bon. Puis, c’est le choc lorsque s’ouvre Occultismo (occultisme) puisqu’il s’agit d’une pièce vocale sans aucune instrumentation. Les voix féminines s’y entremêlent aux voix masculines et créent un effet sublime rappelant le son du vent lorsqu’il se faufile dans des espaces qui lui permettent de se faire entendre. La délicate Noia (ennui) nous prépare ensuite au sommeil (ou à l’assoupissement collectif) avec ses cloches et ses claviers lents et aériens, engourdissement préparant finalement le terrain à la hautement dramatique Dittatura.
Les années 60 et 70 en Italie ont été très riches en groupes psychédéliques, prog et expérimentaux, qu’on ne songe qu’à Musica Elettronica Viva, Metamorfosi, Il Balletto di Bronzo ou Le Orme, pour ne nommer qu’eux. Le monde trouble dans lequel ces groupes évolueront, post mouvement hippie, fortement marqué par une grande désillusion et déstabilisé par les frictions et les affrontements entre des groupes et factions d’allégeances politiques radicalement opposées, ce monde, oscillant entre l’intransigeance et le repli inquiet, Daniela Casa réussit à l’illustrer parfaitement dans son album Societa Malata.
L’album original paru en 1975 est plutôt rare, mais il a heureusement été réédité en 2013 par Penny Records. Essentiel pour tout collectionneur de raretés et chaudement recommandé aux amateurs de musique instrumentale avant-gardiste.
http://interstellarmedium.me/2014/09/30/daniela-casa-societa-malata-1975/
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