Weyes Blood
Front Row Seat to Earth
- Mexican Summer
- 2016
- 45 minutes
Il est toujours impressionnant d’observer un artiste qui arrive non seulement à composer et interpréter une musique intéressante, mais qui arrive en plus à cultiver une image captivante, en équilibre entre le mystère ésotérique et la totale franchise digne d’une confession. De tels artistes sont peu fréquents, et l’Américaine Natalie Mering, qui agit musicalement sous le pseudonyme Weyes Blood, est du lot.
Le projet Weyes Blood est actif et sitedemo.cauctif depuis 2013, et même si la chanteuse est encore jeune, Front Row Seat To Earth est déjà son troisième long-jeu, en plus de l’excellent mini Cardamom Times l’an dernier. Ce corpus a été précédé de collaborations sur scène avec divers musiciens noise et expérimentaux de Philadelphie, notamment Jackie-O Motherfucker. Ce n’est pas le passé qu’on imagine en écoutant son folk-pop éthéré, mais l’appétit pour le bruit, le drone et l’expérimentation est tissé un peu partout dans ses réalisations, dans ses techniques d’enregistrement et dans la structure très libre de ses chansons. Elle pratique une forme de chanson folk rappelant des musiciennes drapées de mystère des années 1970 comme Linda Perhacs et Karen Dalton, ornée d’une voix de contralto qui rappelle Karen Carpenter et Toni Tennille, et baignée d’ambiances musicales marécageuses plus proches de contemporaines comme Grouper et Circuit des Yeux.
L’album The Innocents en 2014 avait été une belle révélation, une collection de pièces délicates et dégoulinantes d’effets de reverb. Cette fois, pour Front Row Seat To Earth, Weyes Blood rend ses compositions un peu plus claires et définies, mais tout de même assez obtuses pour qu’on ne saisisse pas tout du premier coup d’œil. Les refrains s’élèvent à peine au-dessus des couplets, l’ensemble ayant l’air de composition automatique où tout tombe magiquement exactement au bon endroit. Avec les écoutes répétées, l’album prend une forme plus reconnaissable et fait comprendre que l’impression d’automatisme est intentionnelle, que tout est fignolé avec attention.
Quelques pièces donnent une grande place aux sonorités synthétiques et manipulées, notamment Can’t Go Home, où Mering s’accompagne d’une chorale faite d’échantillonnages de sa propre voix, un arrangement qu’elle manipule avec subtilité, puis qu’elle fait déraper dans les dernières secondes en faisant rouler des voix en courte boucle, leur donnant une dimension soudainement mécanique. Ces moments, sertis entre d’autres morceaux plus traditionnellement pop-rock, démontrent la profondeur et la maîtrise grandissantes de Mering.
Les textes, à l’image de la musique, donnent l’impression d’être directs et honnêtes tout en restant difficiles à déchiffrer clairement, et donnent envie de réécouter l’album maintes fois pour mieux saisir ce qu’elle exprime sur les relations amoureuses et la difficulté à trouver la simplicité dans un monde complexe. C’est un album à déballer et à savourer lentement et longuement.
Ma note: 8,5/10
Weyes Blood
Front Row Seat to Earth
Mexican Summer
45 minutes