Mais, où est la musique de Kashtin?
Depuis quelques années, chaque fois qu’on parle de la musique de Kashtin, on se frappe rapidement à un mur : il n’y a presque rien de disponible en ligne à l’exception de quelques vidéos de piètre qualité sur YouTube et une liste de lecture chez Ici Musique.
En 1990 et 1991, Kashtin était parmi les plus grands groupes québécois. Bien que classée dans la catégorie « Autres langues » à l’ADISQ, la formation était omniprésente. En 1990, elle remporte le prix de l’album folk de l’année et le meilleur premier album pour l’album homonyme. En plus de ces deux prix, la formation obtient des nominations dans la catégorie découverte de l’année qui ira à Laurence Jalbert, la catégorie Groupe de l’année qui ira aux B.B et la catégorie Artiste québécois s’étant le plus illustré hors Québec qui ira à UZEB. Bref, c’était grand et populaire. Je faisais partie d’une jeunesse qui massacrait allègrement l’innu-aimun dans la cour d’école avec les amis à chanter les mélodies puissantes de la formation.
Je ne suis pas le seul à penser ainsi. L’auteur-compositeur-interprète Vincent Vallières a aussi à cœur la disponibilité de notre culture. Parce que dans l’absence de ces chansons en ligne, il y a une collectivité qui écope : « Mais l’autre drame, c’est un drame collectif, celui que j’évoquais tantôt. Cette musique-là n’est plus disponible et donc elle n’existe plus présentement. Le danger, c’est qu’elle soit oubliée de la mémoire collective. Tu regardes n’importe quel groupe, même des artistes qui sont décédés, la business continue après le décès de l’artiste. On le voit au Québec avec des pages Facebook, avec des catalogues qui sont gardés vivants, avec des reprises de chansons, avec des projets de spectacles. »
Toujours vivants
Si Claude McKenzie n’a jamais répondu à mes demandes d’entrevue, Florent Vollant lui s’est prêté volontiers au jeu. Ma première question était simple : pourquoi la musique de Kashtin n’est pas disponible sur les plateformes d’écoute en ligne? « Il n’y a rien à comprendre, moi je ne comprends rien là-dedans. Je ne sais pas comment ça se fait, on parle de Guy Trépanier là, quand on parle de Kashtin à ce niveau-là. Lui, il a acquis les droits et il en fait à peu près ce qu’il veut, je pense. On ne sait pas. On ne sait pas ce qu’il fait. » On comprend rapidement que les canaux de communications entre le groupe et leur ancien producteur ne sont plus ouverts.
Et c’est à ce moment qu’on glisse dans le merveilleux monde des droits d’auteurs. Il faut comprendre deux choses très importantes lorsqu’on traite de ces questions :
Comme le dirait mon ami Marc-André Mongrain de Sors-tu.ca : on ne peut pas s’attendre à ce que des artistes, qu’on valorise pour leur manière radicalement différente de voir notre monde, ce qui nous permet à notre tour de le voir sous un autre œil, d’être de bon.ne.s hommes et femmes d’affaires.
L’autre chose importante est la production d’album, surtout à la fin des années 80, qui demandait des investissements importants que les artistes ne pouvaient que rarement payer eux-mêmes, à moins de venir d’une famille très nantie. On parle de : journées de studios à grands coûts, des techniciens, un groupe pour enregistrer, un réalisateur, la promotion et une allocation pour que les artistes ne meurent pas de faim. Pour donner des données plus réalistes, un cycle avec une production d’album, sa promotion et deux vidéoclips coûtaient en moyenne 83 887$ en 1996-97 selon L’industrie du disque au Québec : portrait économique / étude réalisée pour le Groupe de travail sur la chanson par Marc Ménard avec la collaboration de Ulysse Saint-Jean et Céline Thibault. À cette époque où avoir un studio maison était virtuellement impossible, c’était le seul chemin possible. C’est beaucoup d’argent pour des artistes qui ne sont pas connus. C’est à cette étape qu’arrivait les producteurs d’albums, qu’ils soient des maisons de disque comme Audiogram, ou encore des producteurs indépendants comme Guy Trépanier qui possédait à cette époque Groupe Concept Musique. Sous cette bannière, il a produit de nombreux albums, dont la musique des 100 Watts, des albums de Richard Abel, la musique de Lance et Compte et bien sûr, Kashtin.
Mais où est la musique?
Comme me l’avait indiqué Florent Vollant, les droits pour les albums de Kashtin appartiennent au producteur Guy Trépanier qui a financé ceux-ci. Les artistes touchent toujours la moitié des droits d’éditions et leurs droits d’auteurs sur ceux-ci. Mais ma question restait : pourquoi la musique n’est pas disponible en ligne? D’autant plus qu’un producteur avait la main mise sur les enregistrements. En théorie, on se retrouve devant un homme d’affaires qui cherche à rentabiliser ses investissements, non?
J’ai donc contacté Guy Trépanier qui n’a pas pris de temps pour me rappeler. Et j’ai enfin eu ma réponse : « Il y a quelqu’un qui devait le faire, mais elle est décédée. » De ce mauvais timing, il semble que tout le processus est tombé dans les limbes et il semblait surpris qu’un journaliste l’appelle pour lui demander où était la musique de Kashtin. Comme s’il ne voyait pas la demande en ce moment pour ce pan important de la musique québécoise et innue. Il faut dire que depuis l’époque, Guy Trépanier est aujourd’hui tourné vers l’Asie où il travaille à des opéras.
Il y avait un certain laisser-aller dans la promotion de Kashtin. D’un côté, le site web officiel était unilingue en anglais plutôt qu’en innu-aimun ou en français et on peut dire tout autant de la page Facebook de la formation qui ne fait que des publications dans la langue de Shakespeare. Guy Trépanier reconnait que c’est étrange et il a promis d’intervenir sur ce dossier aussi.
Une résolution heureuse?
Il se peut bien à tout le moins que pour les mélomanes, la résolution soit heureuse puisque Guy Trépanier assure au téléphone qu’il a l’intention de rendre disponible la discographie sur les services d’écoutes en ligne. Il a même déjà un professionnel (réputé) en tête pour le faire. Ce n’est pas la seule chose, il rêve encore de projets avec Florent Vollant et Claude McKenzie, de raviver la flamme de Kashtin. À une époque où nous sommes fermement engagés sur la voie de la réconciliation avec les communautés autochtones, il me semble que redorer le blason de Kashtin sera une belle manière de célébrer une époque, où, avant que ce soit à la mode, il y avait un lieu culturel de rencontre entre allochtones et autochtones.
Alors que le temps continue son implacable chemin à travers la vie, il est grand temps de faire rayonner Kashtin qui est l’une des pierres d’assise de la musique contemporaine autochtone en célébrant l’œuvre à sa juste valeur et pour ce qu’elle a été : l’un des plus gros phénomènes musicaux de la fin des années 80 et du début 90 au Québec. Avec leur concert à Innu Nikamu cet été qui a attiré une foule importante, il est permis de rêver qu’on les reverra sur une grande scène montréalaise un de ces jours. Mais de grâce, en attendant, laissez-nous écouter les albums!
Crédit photo: Innu Nikamu 2024