Critiques

Nicolas Bernier & Co

Science_Fiction

  • Bureau des fréquences
  • 2022
  • 30 minutes
8
Le meilleur de lca

Nicolas Bernier & Co. est le nouveau projet de l’artiste sonore québécois du même nom, qui a collaboré avec des artistes vocaux pour créer un album sur le thème de la science-fiction. Bernier nous a fait découvrir son univers créatif il y a un peu plus de quinze ans avec ses trames sonores pour la danse, le théâtre, le film et les arts visuels, ainsi que ses performances et installations audiovisuelles. Son parcours ne peut plus être résumé en quelques mots, mais on peut certainement reconnaître son travail à travers le langage musical minimaliste, la pureté de la matière sonore et la précision scientifique de l’exécution. Tous ces mots sont bien beaux, mais concrètement ça donne des performances incontournables comme Frequencies (light quanta) et Transfert (299 792 458 m/s), et une de ses (rares) publications canadiennes, Travaux mécaniques (2012), création publiée sur empreintes DIGITALes.

On se retrouve durant la pandémie, pendant laquelle Bernier improvise des trames synthétiques focalisées sur des textures sonores qui s’inspirent de la science-fiction, et de l’évolution de l’expérience humaine à travers celle de la technologie. Le matériel a été envoyé à cinq artistes vocaux issus de différentes disciplines vocales, et structuré par la suite autour de leurs performances vocales en six scènes / fictions. La coupure finale de Science_Fiction est immersive, et « dans ta face », avec une maîtrise hallucinante de la matière — une approche un peu punk par ailleurs — et des voix qui interpellent l’intelligence humaine.

Fiction 1 ouvre sur une percussion de bol tibétain, suivi par de la synthèse épurée qui oscille chaleureusement. Fortner Anderson prend place à la voix, déclamant sur un ton solennel ce qui semble être la fin d’une navette spatiale, réduite en débris dans le vide de l’espace.

Fiction 2 contraste avec son départ explosif, enchaînant sur une onde qui friture en duo avec un effet sonore de réacteur au plasma et un kick bien sale. Beans prend le contrôle du rythme sur un ton de militant rapportant la dure réalité du cauchemar américain. Le motif se resserre et se densifie entre les percussions et les syllabes vocales, générant une proximité très satisfaisante. Le mouvement se termine sur une deuxième ponctuation explosive, suivie par un filtre qui se déplace des hautes aux basses pour conclure en liasses de pétards, secondant les propos (explosifs) de Beans.

Fiction 3 change complètement de lieu avec ses accords de guitare, sa ligne de basse qui groove et ses claquements de doigts. La voix d’Eleuther a réunit tous les instruments avec son spoken word à propos de la possibilité de ne pas être seul dans l’univers. Le thème a une teinte jazzée avec ses filaments de cuivres, et bifurque momentanément dans de « l’avant-quelque chose », inspiré par Laurie Anderson. La batterie prend place à l’avant dans un passage plus serré, accentuant le segment pour conclure magnifiquement.

Fiction 4 revient à une forme posée, laissant beaucoup d’espace à Gabrielle HB et sa voix mixée proche de l’oreille, similaire à de l’ASMR (Autonomous sensory meridian response). Son souffle est marqué par les consonnes, voguant sur les syllabes et paroles en parallèle au flot musical. Celui-ci respire effectivement en vagues, s’étirant entre les scintillements et les effets de filtres derrière les voix superposées. Le rythme vient compléter le thème en une finale légèrement années 80, qui aurait pu jouer en résolution à la fin d’un film de John Hughes.

Le compositeur virtuel Av3ry (Alexander Schubert) initie Fiction 5 dans une forme « text-to-speech », suivi d’un kick lourd et d’un bourdonnement profond. L’introduction fait place à une séquence entraînante texturée par des effets d’aspirations et d’itérations synthétiques. La technique de « text-to-speech » d’Av3ry colle parfaitement à la pièce, bien qu’elle soit éclipsée par l’arrivée de Beans à mi-chemin, pratiquement en réponse à l’intelligence artificielle d’Av3ry. À partir de là, le débit déboule à une vitesse et une précision hypnotique, doublée par la mélodie en toile de fond. On anticipait la finale en duo qui conserve solidement le momentum, sans tomber dans la cacophonie.

Eleuthera revient sur Fiction 6, sur le bord d’une falaise, avec le vent poussant contre des reliefs millénaires. La pièce se réveille, réanimée par un bourdonnement, comme le battement de cœur d’un titan métallique, minéral. Le thème nous enveloppe dans un orage, telle une trame qui aurait pu se dérouler près d’une tempête de sable sur Arrakis. Léa Boudreau et Dublineconcluent l’album avec des remix très créatifs de fictions 4 et 2 respectivement.

On s’en doute, Science_Fiction ajoute une nouvelle branche à l’arborescence sonore de Nicolas Bernier, avec un feuillage coloré qui fait un peu le même effet que dans The Wizard of Oz, et son passage à couper le souffle du noir et blanc à la couleur. La matière électroacoustique prend un sens tellement plus percutant lorsqu’il est mis en contexte par une voix, une présence humaine qui permet de créer un lien tellement nécessaire en ce moment. On a hâte à la suite.

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