Les Francouvertes 2016: une entrevue avec Mon Doux Saigneur
J’avoue qu’au début de l’entrevue, j’étais plus ou moins à l’aise. Non qu’Emerik St-Cyr m’indispose. Absolument pas. En fait, nous étions dans une délicate situation. Le genre de situation où t’espères ne pas faire de faux pas, ne pas dire la chose qui fait mal ou encore tourner le fer dans la plaie par inadvertance tout en ne faisant pas à semblant que rien ne s’est passé. Un peu comme lors de l’entrevue, nous allons régler la question dans les premières phrases. Il y a deux semaines, le père d’Emerik s’est enlevé la vie. J’ai eu la chance de parler à jeune homme qui fait son deuil, mais qui étonnamment se tient encore droit comme une barre. Tourné vers l’avenir, sans nier le passé récent, le jeune homme se concentre sur la finale du 9 mai. Et puis, contrairement à la STM, on ne fera pas semblant que ça n’arrive pas…
«Il n’appartient pas à l’être humain de sauver son frère de la mort. Il ne peut que l’aimer.» – Marie-Claire Blais
Sur un tout ordre d’idée, j’ai pris le temps de lui parler des deux premières rondes des Francouvertes. En plus de donner un gros «boost» à la confiance, cela a permis de raffermir les liens entre les musiciens du groupe et de leur donner une bonne idée de ce qu’ils sont capables d’accomplir. «Le set-up assez carré nous donne une idée de ce qu’on est capable de faire dans ce genre de situation.» D’ailleurs, Emerik donne beaucoup de mérite aux musiciens qui l’accompagnent sur scène. D’abord, Mariane Bertrand qui lui a proposé de l’accompagner à ses débuts. Puis David Marchand (Eliza), rencontré par l’entremise des gens de Caltâr-Bateau, qui s’est proposé de jouer de la guitare. Il s’est acheté un lapsteel l’été passé, s’est inventé un «tuning» appris par lui-même. Étienne Dupré jouait de la basse, mais rêvait secrètement de piocher sur une batterie. C’était sa condition pour embarquer. Emerik a dit oui immédiatement. Et finalement, Eliott Durocher qui joue de la guitare a appris la basse pour le projet. «C’est comme si on était des rookies, mais comme on est tous à la même place, ça fusionne plutôt bien.» Mettons que du côté novice, il y a pire.
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Le projet Mon Doux Saigneur est encore relativement nouveau. Emerik a donné son premier spectacle sous ce nom-là en novembre 2014 alors que le groupe existe depuis un peu moins d’un an. Pourquoi utiliser un sobriquet? «J’écoute beaucoup de musique et c’est souvent des groupes ou des bluesmans. C’est une façon de colorer le sitedemo.cauit un peu. Ça fait partie du concept, de l’esthétique. Ça me fait penser aux bluesmans américains classiques. Le nom évoque la foi, ça évoque la croyance en quelque chose de plus grand. Ce n’est pas rattaché à une foi en particulier. Et puis, le côté saignant, je me suis dit, tant qu’à le chanter aussi bien le mettre dans le nom!» D’ailleurs, on a parlé des thématiques plutôt noires de Mon Doux Saigneur. «Je me rends compte que je ne parle pas de sujets joyeux. C’est peut-être une première phase. De nettoyer les taches pour passer à autre chose.» Il semble avoir lancé tous ces démons dans la musique, une porte de salut qui lui permet d’être en communion avec le public et les êtres humains. C’est aussi un endroit où il se donne le droit de «saigner» où il se permet de coucher les choses qui le dérangent sur papier.
On le sait très peu, mais Emerik a fait La Voix. «J’ai toujours eu un sentiment amer envers ce genre d’émission là. Mes parents souvent me disaient que je devrais m’essayer. Je voyais beaucoup de fla-fla, beaucoup de personnes qui paraissent bien, mais peu de forces créatrices. Je voyais des reprises américaines, mais pas de relation entre l’interprète, sa voix, ses mots. Mon frère s’y intéressait et il m’a convaincu d’aller auditionner. J’ai joué Mes grandes mains pour Stéphane Laporte et puis il a aimé. Il a demandé ensuite un cover, mais j’ai refusé parce que je ne me considère pas à la hauteur pour reprendre une chanson de Félix Leclerc ou quelque chose que j’aurais aimé leur jouer. Je ne voulais pas jouer un cover en anglais, je voulais aller là pour gagner, mais peut-être passer un message. On m’a finalement demandé 3 chansons en anglais et 3 en français et on m’annonce que je vais passer à la télé. Je décide d’écrire à une des assistantes à la sitedemo.cauction pour lui dire que je voudrais que ce soit la chanson de La Bottine Souriante parce que c’est sorti l’année de ma naissance et quand mes parents faisaient jouer ça, je virais fou en couche. Je dansais. La veille de mon passage, j’ai imposé un riff aux musiciens. Un riff qu’on n’avait pas pratiqué. Au début, ils étaient réfractaires, mais tout le monde a fini par se rallier. Je me suis fourré un peu, j’ai inventé des mots pendant ma performance, mais c’était le fun. Ils m’ont laissé libre. J’aurais quand même aimé qu’ils passent les entrevues où on parlait de choses importantes, mais bon…»
St-Cyr ne s’attendait pas à une si bonne réaction. Mais ce qu’il visait réellement: «Quand j’écris, j’essaie de me concentrer sur les 8 millions d’oreilles qui pourraient écouter. Je ne veux pas restreindre le public, mais essayer de parler à tout le monde. Et puis, quand t’écris une chanson, tu peux te permettre de ne pas être poli. Dans la vie, on essaie de bien paraître, on dit merci, mes condoléances, etc. Mais en chanson, on peut aller à l’essentiel, dans les émotions crues.» Et à en croire les réactions aux préliminaires, les gens les reçoivent avec plaisir et ouverture. Voyons voir, ce qu’il en retournera le 9 mai au Club Soda.
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