Feu! Chatterton
Ici le Jour (a tout enseveli)
- Maison Barclay
- 2015
- 58 minutes
La mort de Chatterton: tableau d’Henry Wallis mettant en scène la mort d’un jeune poète britannique, Thomas Chatterton, qui s’est suicidé à l’âge de 17 ans en avalant de l’arsenic. Pour plusieurs, il incarne cette image romantique de l’artiste incompris, celui qui préfère se donner la mort plutôt que de mourir de faim, seul, alors que ses écrits tombent dans l’oubli. Cette histoire sert de prémisse à la musique et à l’ambiance proposées par Feu! Chatterton, groupe rock parisien attendu avec une certaine frénésie sur la grande scène musicale française à la suite de la sortie de deux EP prometteurs.
Voilà que la formation, composée de Clément Doumic (guitare), de Sébastien Wolf (guitare et clavier), d’Antoine Wilson (basse), de Raphaël de Pressigny (batterie) et – surtout – d’Arthur Teboul (chanteur au timbre de voix mûr et auteur-compositeur à la plume savante), propose enfin un premier «vrai» disque, titré Ici le Jour (a tout enseveli), et réalisé par Samy Osta (Rover, La Femme, Louis Chedid, Laura Cahen…)
Et dès la première écoute, l’expectative se régale. Nous voici devant un album majeur où l’énergie déployée par ses protagonistes atteint la cible, à savoir notre plaisir auditif.
Rock accentué d’une vibration que l’on devine jazz, trempé dans le passé à l’occasion, dans la chanson franchouillarde (et même dansante!) à d’autres, mais la plupart du temps tourné vers le modernisme, préférant la précision à la cacophonie généralisée, la musique entendue est à la fois diversifiée et recherchée.
Et elle se doit de l’être, car les textes signés Teboul déboulent, se fracassent dans notre esprit marqué par l’imaginaire à la fois imagé et tortueux de l’auteur à la voix chaude et rocailleuse. On pense à Gainsbourg, à Bashung, et dans une moindre mesure à Bertrand Cantat. La poésie urbaine déployée est à ce point fort et fait la preuve que le mariage peut être heureux entre le rock et la langue de Molière.
L’encrier de Teboul trempe dans les histoires romantiques…
«Mes audaces, D’un geste tu les chassas, Comme les moucherons, Au-dessus de nos têtes, Et mes largesses, Tu les mis à l’index, C’est déjà ça, À l’index ah!, C’est déjà sale.» – La Mort dans la Pinède, au changement de tempo entraînant.
«À chaque missive l’avouerais-je, Je crains de vous causer l’ennui, Et cette attente comme un missile, Endolorit ma tête grège.» – La Malinche, chanson à la musicalité disco qui peut rappeler Afterlife, d’Arcade Fire.
… Mais au-delà du passé romanesque, Feu! Chatterton plonge aussi la tête à même l’actualité et y nage avec une facilité déconcertante. À preuve, la pièce phare de l’album, Côte Concorde, inspirée par le naufrage du Costa Concordia survenu le 13 janvier 2012.
«Voilà ce qui arrive quand les bicoques sédentaires s’en vont voir du pays, Paradent devant la rive, Mais les eaux couleurs d’opaline ne sont pas édentées, Ainsi petit rocher voulu croiser ta course, Pirate somnolant 1000 fois dérangé par tes folles néons et le bruit de ta bourse… Il a mordu dedans.»
Avançons-nous sans grand risque: le rock français vient de se trouver un nouveau meneur de jeu en Feu! Chatterton.
Ma note: 8/10
Feu! Chatterton
Ici le Jour (a tout enseveli)
Maison Barclay
58 minutes
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