Ought
Room Inside the World
- Royal Mountain Records
- 2018
- 40 minutes
Ought s’est déjà bâti une solide réputation avec son post-punk fiévreux porté par une certaine conscience sociale. Après deux disques acclamés par la critique, le groupe aurait pu s’asseoir sur ses lauriers et poursuivre dans la même voie, mais il a plutôt choisi de remettre ses certitudes en cause sur Room Inside the World, qui témoigne d’une certaine maturité et d’un désir d’expérimenter avec les sons.
La chanson These 3 Things, premier extrait de l’album lancé en novembre dernier et accompagné d’un clip magnifique, donnait déjà un avant-goût de la couleur de ce nouvel opus, avec ses sonorités new wave et ses synthés qui rappellent autant Brian Eno que Kate Bush. Mais la plus grande surprise réside dans la nouvelle approche vocale du chanteur Tim Darcy. Souvent comparé à David Byrne, des Talking Heads, pour son chant déclamatoire proche du style parlé, Darcy fait montre d’une nouvelle aisance à varier les styles sur Room Inside the World : parfois lyrique, parfois théâtral, voire même méconnaissable à certains égards, notamment par ses inflexions soul sur la somptueuse Desire. Le chanteur est accompagné d’une chorale de 70 personnes.
L’album ne fait pas non plus table rase du passé, et certains titres s’inscrivent tout à fait dans la même veine que More Than Any Other Day (2014) et Sun Coming Down (2015). C’est le cas de l’excellente Disgraced in America, sans doute la chanson qui se rapproche le plus de ce à quoi Ought nous avait habitués, à une différence près toutefois : elle se veut plus posée, moins hyperactive que des titres précédents comme The Weather Song ou Men for Miles. Même constat pour une chanson comme Take Everything, caractérisée par des guitares rugueuses dans la tradition post-punk, mais qui donne, elle aussi, l’impression d’un groupe en meilleur contrôle.
Le quatuor, formé en 2012 par trois Américains et un Australien venus étudier à Montréal, n’aime cependant pas parler de maturité. En entrevue avec Le Canal Auditif il y a quelques semaines, le batteur d’Ought, Tim Keen, rejetait le terme, tout en admettant une certaine forme d’évolution :
Je pense que la manière dont les gens changent, entre le début et la fin-vingtaine, est relativement profonde, ce qui fait une différence dans ta façon de concevoir le monde. De toute évidence, le public nous a vus dans différentes étapes de notre vie, et c’est bien qu’il y ait une progression. Pour être honnête, je pense que ce serait terrifiant s’il n’y en avait pas.
Cette évolution se ressent aussi dans la production plus léchée, moins brute, de Room Inside the World. Il faut certainement y voir la griffe du réalisateur Nicolas Vernhes, qui a notamment travaillé avec Animal Collective et Deerhunter, mais le groupe lui-même n’a pas caché qu’il voulait profiter de son temps en studio pour explorer de nouvelles possibilités. La différence est palpable dès les premières secondes d’Into the Sea, avec ses accords plaqués au piano et le son plus clair de la batterie. Les guitares sont moins sales aussi, et plus mélodieuses, avec des solos à la Television et des sonorités qui rappellent parfois la dream pop de Cocteau Twins…
Room Inside the World constitue certes un album qui ne laisse pas indifférent. Il faut quelques écoutes pour s’imprégner de ses atmosphères et apprivoiser la tangente prise par la formation originaire de Montréal, qui vient de quitter l’étiquette Constellation pour signer avec la compagnie américaine Merge (au Canada, c’est Royal Mountain Records qui assure la distribution de l’album). Au risque de déstabiliser ses fans de la première heure, Ought a plutôt choisi d’élargir sa palette sonore et d’embrasser le changement qui vient nécessairement avec l’âge et l’expérience (pour éviter ici de parler de maturité…) Il s’en trouvera certainement pour déplorer que le groupe ait opté pour une facture sonore un peu plus accessible, et cette critique est sans doute en partie justifiée. Sauf que le contenu, lui, demeure toujours aussi pertinent.