Critiques

Above The Snow Line

The End Is… Soon Enough

  • Indépendant
  • 2018
  • 53 minutes
8
Le meilleur de lca

Matthieu Gauthier Prud’homme est l’auteur-compositeur et multi-instrumentiste derrière le projet Above the Snow Line. Dans une entrevue juste ici, il explique pourquoi il a voulu proposer un album double. Le créateur fait preuve d’innovation en proposant un rock-électro savamment ficelé, qui va à l’inverse du fast-food musical contemporain. Critique et détails de The End Is… Soon Enough, un album percutant lancé en janvier dernier.

Donc. L’album commence sur une courte introduction instrumentale d’environ une minute, This Is How It All Ended, où un piano dramatique ralentit le film accéléré de nos vies. On aurait aimé que ce moment exquis dure plus longtemps! Mais la pièce ouvre à merveille les portes de The End Is… Soon Enough. Ensuite, s’enchaîne Rise Up, et celle-ci donne réellement le ton de l’album. Above the Snow Line nous ordonne de nous lever, mais on veut seulement fermer les yeux et se laisser aller, dans cette ambiance mélancolique et magnifique. À 2:57, on observe un croisement quasi improbable entre Radiohead et IAMX, où le premier serait plus corrosif, et chez le second se révélerait une voix un peu moins haute perchée que celle de Chris Cornell. I Come with Knives nous vient particulièrement en tête.

Time is flying
Seas are drying up
Could we stop fighting?
– Rise up

L’album puise évidemment ses sources dans les années 90 et le début des années 2000. Lorsqu’on écoute Way Out, on est atteint d’une petite nostalgie. On aperçoit dans notre tête des images de séries télévisées américaines, où les filles portent des pantalons d’armée, des « crop tops », des semelles compensées, et écoutent des disques dans des « walkmans »… Ah! Charmed, Buffy, Hackers, Existenz, les voilà… Des fantômes bienfaisants, des vampires séduisants, des sorcières élégantes, et des pirates informatiques; The End Is… Soon Enough irait à merveille sur ces images. À 4:38 de Way Out, les chants sont particulièrement obsédants, même un peu terrifiants, mais on adore ça. Ensuite arrive la tourmente abrupte de Empty, Obsolete. On ressent ici un ultimatum bourré d’adrénaline… Comme si on était dans la scène finale d’un film d’action, où on courrait après quelque chose, ou plutôt, où on fuirait un monstre que l’on n’ose pas regarder… Des gargouilles se profilent sur des toits foncés se détachant sur un ciel pâle, entre chien et loup. Leur immobilité renvoie notre reflet et nous statufie également, en jetant un éclairage nouveau sur des aspects oubliés de nos vies.

I am home again
And I am whole again
If you could hold my hands…
You’d see

Traffic lights are useless now, aren’t they?
You can cross every street
Cars are parked on the sidewalks
-Empty, Obsolete

Après, la très sexy Sentinel s’enchaîne. Elle transforme d’ailleurs presque Karma Police de Radiohead en une chanson joyeuse, ce qui n’est pas peut dire… Les tons mineurs sont peints avec aisance, sur cette toile à la fois triste et enchanteresse, où un pauvre prince éploré chante ses tourments dans sa tour d’ivoire. Le format de la chanson en aurait fait un excellent simple, car elle est très accrocheuse. D’ailleurs, le petit break à 1:26 rajoute de la dynamique.

I feel weak, my guard’s down
I want to wake up again in your arms
-Sentinel

Dans A Better Place, Matthieu Gauthier Prud’homme devient le frère jumeau de IAMX. Sa voix de tête est perçante et acérée, comme un aigle qui voltige seul dans l’immensité, et bondit sur une proie choisie avec soin… La guitare électrique, présente pour la première fois sur l’album, rajoute plus la texture à la chanson. Le refrain à 1:40, où un synthétiseur qui suit des mélodies vocales superposées (faites avec brio, d’ailleurs), fait penser à The Birthday Massacre, groupe ontarien d’électro rock. Notre esprit se remémore également Make A Star, de Dope Stars Inc., à l’écoute de ce titre qui reste également dans la mémoire. A Better Place se termine élégamment, avec quelques notes de piano qui rappellent l’intro, peut-être un peu trop abruptement. On souhaite rester dans cet état à la fois léthargique et bienfaisant. On veut continuer à flotter dans ce « meilleur endroit », please…

Such a beautiful smile

Can be seen from a thousand miles

Away from this war, away from the pain…
-Hold on

Hold On fait penser à No Surprises, de Radiohead, de par son ton doux-amer; tout à fait le genre de chanson qui se boit comme un chocolat chaud, lors d’un petit moment tourmenté. Alors que la douce Knives nous rappelle des souvenirs furtifs de Dope Show de Marilyn Manson et apaise notre âme, l’effrayante, lourde, lente et sensuelle Pretence, s’avance vers nous comme une panthère musclée et redoutable. On trouve ici quelques similitudes avec la pièce Bakelite, de Black Light Burns (projet de Wes Borland – de la vraie bombe, en passant!). Avec Scarecrow, on continue dans la même veine et les paroles sont poétiques:

When something dies
They say something else grows
I don’t wanna be frightened
I wanna be the scarecrow
-Scarecrow

A Glimpse of Happiness évoque un Radiohead qui se serait maquillé outrageusement et se serait vêtu de costumes à plumes et à paillettes. Une extravagance digne du Rocky Horror Picture Show, où un synthétiseur « distorsionné » s’apparente également à New Hunger de Black Light Burns. L’album se termine magnifiquement bien, sur ces notes d’espoir:

Falling down and standing up
Let’s dance around and forget all that’s bad
For a glimpse of happiness
-A Glimpse of Happiness

Somme toute, ces rythmes constituent l’impulsion première à partir de laquelle on est propulsé dans les airs… On survole des montagnes enneigées, volant bien au-delà de la cime des arbres, et on respire enfin librement. Nos émotions se figent magnifiquement, telles des coulées limpides qui se cristallisent à mesure qu’elles se dirigent vers le sol. La gravité nous fait courber l’échine, on ploie sous le poids de tout ce qu’on supporte, mais Above the Snow Line y dépose ses fleurs en guise de rétablissement. Une musique qui soigne…

D’ailleurs, on croirait entendre un Nine Inch Nails réinventé. L’influence de Thom Yorke plane également au-dessus de l’auditeur, dans cette découverte québécoise au son très anglais. Des chansons intrépides, furtives, qui serpentent dans notre subconscient et y tracent de nouveaux chemins. Les courts morceaux, très « down-tempo » tout au long de l’album, sont constitués d’un robuste squelette. La basse est simple, mais efficace, et les harmonies vocales sont séduisantes.

Quelque chose d’ésotérique, d’intuitif, constitue toute l’âme de l’oeuvre. Du magma en fusion est au centre de cette musique idéale pour faire des rituels: tirer au tarot, scruter l’avenir dans une boule de cristal, faire brûler de l’encens, dessiner des pentagrammes au sol… The End Is… Soon Enough est infusé d’un souffle particulier, d’un fil conducteur qui se tient, sans même qu’on ait besoin de le comprendre. De la pure drague musicale, où on ne peut être que charmé.

Le premier album d’Above the Snow Line, The End Is… Soon Enough, est offert en téléchargement sur toutes les plateformes depuis le 9 février dernier. On peut se le procurer via son site officiel, ou encore sur Bandcamp. Matthieu Gauthier Prud’homme veut publier de la musique de façon régulière et lancera donc la troisième partie de l’album au cours de l’année… Cette dernière partie sera la plus longue, et contiendra probablement sept ou huit chansons. Ça promet!

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