Antoine Corriveau
Les Ombres Longues
- Abuzive Musik / Coyote Records
- 2014
- 46 minutes
Près de 4 ans après un beau St-Maurice/Logan, un premier album estimé par la critique, le Trifluvien Antoine Corriveau revient avec entre ses mains un brûlot magnifique. Paru il y a deux semaines via Coyote Records (Klô Pelgag, Karim Ouellet), Les Ombres Longues, permettra, on l’espère, d’inscrire son auteur parmi les plus grands auteurs-compositeurs-interprètes du Québec d’aujourd’hui. On parle ici d’un très grand album, à mettre aux côtés des meilleurs albums de Bélanger, Ferland, Desjardins, Fortin et Leclerc.
Réalisé avec doigté par Nicolas Grou, Les Ombres Longues est assez unique dans le paysage musical québécois actuel. Alors que plusieurs de ses contemporains choisissent les hymnes rassembleurs et les arrangements électro-pop accrocheurs pour habiller leur propos, Corriveau préfère installer des ambiances folk sombres et lourdes, mais toujours généreuses, avec une bonne dose de guitares enivrantes, des percussions tribales et hypnotiques, et sa voix, râpeuse et chaude à souhait. Oui, sa voix rauque rappelle un jeune Daniel Lavoie. La comparaison initiale passée, sa musique fait plutôt penser aux Chiens, à Tom Waits, ou encore à Leloup. Les chansons de Les Ombres Longues se déplient tranquillement, dénouant des refrains forts intelligents, où les guitares te font fermer la gueule, où chaque mot est pesé pour y révéler un puissant message. Par moment mélancolique sans verser dans le mielleux, l’auteur passe d’un état d’âme à un autre, jonglant entre introspection et chansons rythmées. On aime beaucoup La tête en marche pour sa fin relevée et Le nouveau vocabulaire pour son texte à jeter par terre.
Jonglant entre peine d’amour et ébullition d’un printemps étudiant, Les Ombres Longues abrite nombre de beautés à l’état brut. Sur Et tu penses que je veux, l’auteur chante une ballade au refrain simple et beau: «Et tu penses que je veux/T’emmener là où les/Vents convergent et défont/Toutes chances de construction/Mais je ne veux pas ça, je m’en fous/Je ne m’écœure pas à penser à toi/Je ne tiens pas à détruire ce qu’il te reste/Je sais que ce n’est plus grand-chose». Ça brille, il y a de l’espoir, mais le propos reste sombre. Corriveau parle également bien de la révolte. Sur de puissantes guitares, il expose sur Noyer le poisson: «Mais la glace se casse sous les pas/De la foule qui avance et qui sait où elle va/Oui la glace se casse sous les pas/De la foule qui avance et qui sait où elle ne reviendra pas».
Les Ombres Longues, ça nous prend à la tête, nous enivre, et inévitablement, on veut absolument y retourner, parce que ce temps passé dans cet univers relève du quasi parfait. Avec la parution de ce très beau disque, Antoine Corriveau peut se vanter d’avoir écrit un classique instantané, et je n’exagère même pas.