Chroniques

Talk Talk

Laughing Stock

laughingstockJe suis un idéaliste. C’est dit. En musique, j’ai cette tendance un peu malsaine à vénérer les créateurs qui osent défier les conventions au nom d’un idéal artistique pur, transcendant et inaliénable. En bon paranoïaque, j’ai aussi ce réflexe qui consiste à constamment me méfier de ceux qui entretiennent des liens un peu trop proximaux avec l’Industrie; cette entité un peu abstraite qui trace ses frontières là où le Capital règne en monarque… Traitez-moi de néo-marxiste, je répondrai tout simplement que j’adhère entièrement à la philosophie punk dans sa conception la plus simple: créer tout en valorisant l’esprit critique. Mark Hollis, le véritable génie derrière l’œuvre de Talk Talk, est à mon sens un véritable punk. Et pour rendre les choses encore plus grandioses, Hollis a été béni d’un talent et d’un don de création tout à fait exceptionnels. Spirit Of Eden en fût un indicateur probant en 1988 et Laughing Stock en deviendra la preuve irréfutable trois ans plus tard.

Je me souviens comme si c’était hier de ma première écoute de Spirit Of Eden. Le tout se déroule à l’automne 2003. Aux premières notes de The Rainbow, complètement abasourdi, je n’ai alors jamais entendu un aussi bon tone de guitare de toute ma vie. Encore incrédule, je me souviens de m’être dit: «Comment est-ce possible de faire mieux?». Cela a motivé l’écoute immédiate de Laughing Stock. Une fois l’expérience terminée, je suis resté assis dans mon bureau, complètement bouche bée, à fixer le mur pendant au moins cinq minutes, en essayant de comprendre exactement ce qui venait de se sitedemo.cauire. Ma conception de la musique venait de changer pour toujours. La semaine suivante, j’achetais la discographie complète de Talk Talk.

Paru le 19 novembre 1991, soit exactement quinze jours suivant la sortie de Loveless de My Bloody Valentine, Laughing Stock est maintenant considéré par plusieurs comme étant l’un des albums fondateurs – aux côtés de Spiderland de Slint aussi paru en 1991 – du courant post-rock. Il y aurait tellement de choses à dire à propos de Laughing Stock et de sa genèse. Pourtant, les conditions entourant la sitedemo.cauction de ce chef-d’œuvre restent encore aujourd’hui extrêmement mystérieuses, pour ne pas dire mythologiques.

Dans les studios Wessex de Londres qui avaient été spécialement aménagés afin d’accueillir Mark Hollis, Tim Friese-Greene et Lee Harris (pour l’occasion, les fenêtres ont été bouchées, les horloges ont été retirées et les principales sources de lumière se limitaient à quelques projecteurs), d’intenses sessions d’enregistrement s’étalant sur une période d’un an ont eu lieu afin d’enregistrer des heures d’improvisations musicales où la ligne directrice assurant la cohésion du projet n’était connue principalement que par Hollis lui-même. On affirme qu’une cinquantaine de musiciens auraient fréquenté les lieux et qu’environ 80% de tout ce qui aurait été enregistré lors de ces sessions aurait été jeté aux poubelles…

Tout comme Kevin Shields, Hollis a dû porter sa vision artistique aux limites de sa propre santé mentale et de celle de ses proches collaborateurs, et ce, au grand désespoir de plusieurs, dont les bonzes d’EMI qui ne s’étaient pas encore remis de «l’expérimentation Spirit Of Eden». Les années où Talk Talk dominait les ondes radio à grand coup de refrains formatés aux critères dictés par la new wave de l’époque (The Party’s Over et It’s My Life) semblaient désormais bien loin… Pourtant, la transition entre les «deux périodes Talk Talk» – qui peut sembler assez brutale pour le commun des mortels – avait tout de même été annoncée, de façon extrêmement intelligente, lors de la parution du très pertinent The Colour Of Spring.

Ceci dit, en trame de fond, le contexte ayant mené à l’enregistrement de Laughing Stock s’est pour sa part caractérisé par la mise en action d’une poursuite judiciaire opposant le groupe à EMI qui, incapable de promouvoir les «bizarreries d’Hollis», avait fait paraître un disque de remixes non endossé par ce dernier. Ultimement, ce sera Hollis et sa bande qui gagneront le combat. Verve Records, une filiale de Polydor, acceptera finalement de financer l’ambitieux projet d’Hollis visant à transcender Spirit Of Eden et ce, en n’y faisant absolument aucun compromis artistique.

Que doit-on alors retenir de Laughing Stock vingt-cinq ans après sa sortie? Après s’être extasié devant les prouesses d’un Spirit Of Eden frôlant la perfection, on y célèbre encore une fois une sitedemo.cauction digne des plus grands étalons de mesure en ingénierie du son. On y est enseveli d’une avalanche de nuances et de subtilités sur le plan de la conception des six pièces qui composent l’album et qui rejettent du revers de la main les structures conventionnelles de la musique populaire (refrain/couplet/refrain) en y mettant plutôt l’accent sur des silences (Myrrhman et Runeii), des feedbacks de guitare absolument ingénieux (After The Flood) ou des rythmiques de batterie parfaitement calibrées à l’image d’une montre suisse (New Grass). Concernant spécifiquement la chanson After The Flood, je n’ai pas le choix d’avouer qu’il s’agit probablement de l’une des chansons les plus abouties et les mieux mixées que je connaisse. À titre anecdotique, si vous me croisez dans une fête et que vous voulez que je vous offre une pinte de bière, parlez-moi du mix de cette chanson et du fameux feedback de guitare entre 4:02 et 5:15… Préparez-vous cependant à y investir au moins une heure de votre temps !

Tristement, Laughing Stock marquera la fin du groupe. De ses cendres encore chaudes émergera le trop méconnu projet .O.Rang, composé de Paul Webb (le bassiste de Talk Talk qui avait quitté le groupe après la réalisation de Spirit Of Eden) et Lee Harris. .O.Rang fera paraitre en 1994 et 1996 deux disques portant désormais le statut «d’albums cultes» (respectivement Herd Of Instinct et Fields And Waves). Pour sa part, Hollis reviendra à la charge une dernière fois en 1998 avec un album solo homonyme assez expérimental qui lui permettra de remplir ses dernières obligations contractuelles avec Polydor. Hollis, libéré de l’Industrie, disparaîtra ensuite de la scène musicale, et ce, sans faire aucune vague. L’intégrité, coûte que coûte, avant l’image, l’ego, le succès ou les bénéfices. Difficile de ne pas être inspiré par M. Hollis

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