Critiques

Run The Jewels

Run The Jewels 2

  • Mass Appeal
  • 2014
  • 39 minutes
9
Le meilleur de lca

Le premier album de Run The Jewels paru l’année dernière était prometteur. Il faut dire que c’était le résultat de l’alliance de deux rappeurs arrivés à maturité. Déjà en 2012, la paire avait fait paraître d’excellents albums chacun de son côté: El-P avait lancé l’impressionnant Cancer4Cure alors que Killer Mike avait causé des vagues avec son tout aussi marquant R.A.P. Music. Il faut dire aussi que les deux hommes arrivent à l’aube de la quarantaine et qu’ils n’ont jamais eu de cadeaux. Ils ont dû faire leurs preuves.

Avec le premier album, le duo avait patiemment et habilement placé ses pions, traçant les limites du territoire qui seraient leur terrain de jeu. Avec ce deuxième volume, les deux rappeurs démontrent que non seulement ils sont à prendre au sérieux, mais qu’ils sont en plein contrôle de leur art, même qu’ils en sont les rois. Run The Jewels 2 est sans contredit le meilleur album de hip-hop paru cette année et il serait franchement surprenant qu’une autre galette réussisse à l’égaler.

Les premiers mots prononcés sur ce deuxième effort sont l’oeuvre de Killer Mike qui crie: «I’m finna bang this bitch the fuck out!/ You betta’ — You might wanna record the way you feelin’ like/History bein’ made/This muthafucka put a mirror on the goddam screen/Let’s go El-P!/Huh? Champ! That’s what we’re gonna do Mick». Toute cette arrogance et cette confiance en soi seraient tombées en désuétude si RTJ2 n’était pas l’album qu’il est. Une fois qu’on a fait le tour, impossible de ne pas abdiquer et rendre à César ce qui revient à César. C’est un grand album de rap.

Tout y est. La sitedemo.cauction d’El-P est parfaitement calibrée, inventive et riche. Les «flows» des deux rappeurs sont variés, rusés et se permettent d’attaquer avec une pertinence hors du commun. Oubliez les paroles frivoles, chaque rime que lâche le duo est une référence culturelle portant une parole politique et sociale. La pièce Close Your Eyes (And Count To Fuck) est un digne représentant de ce qui se retrouve sur l’album. Le duo lance des droites à A$AP Rocky, au système de justice américain, à la population américaine, les gangs de rues qui s’entretuent, la police, les filles qui aiment l’argent, les politiciens et la religion, avec en arrière-plan la tension crée par l’incident Michael Brown à Ferguson. Tout ça avec Zach de la Rocha qui cadence la marche et qui ferme le débat d’un: «The only thing closing faster than our caskets be the factories». Une phrase typiquement de la Rocha et typiquement RTJ, un métissage parfait.

La pièce la plus puissante est Love Again (Akinyele Back). Sur un rythme lourd et appuyé, les deux rappeurs se lancent dans des tirades aux phrases les plus vulgaires les unes que les autres. Adoptant le style d’Akinyele reconnu pour ses paroles particulièrement crues, la féministe inattentive pourrait crier rapidement à l’hérésie. Surtout que Gangsta Boo y va de quelques nonchalants «Dick in the mouth all day». Pourtant au deux tiers de la pièce, le rapport se renverse et Gangsta Boo y va d’un rap tout aussi vulgaire qui renverse le rapport de contrôle. Tout ça devient «clit in his mouth all day». Oui, El-P et Killer Mike sont des féministes et ils le démontrent de manière habile. Un tour de force d’une dextérité impressionnante.

Il serait facile de passer pièce par pièce le petit bijou qu’est RTJ2, mais la seule réelle manière de comprendre le génie des deux hommes est de prendre les trente-neuf minutes nécessaires pour entendre El-P et Killer Mike mitrailler leur savoir-faire. Un album qui ne possède pas de défaut et un exemple de rap intelligent au contenu dense. Une oeuvre qui est à classer avec les The Money Store, Old et My Dark Twisted Fantasy. Oui, c’est bon de même… et c’est gratuit en MP3!

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=rghRRD4mCn4[/youtube]