Chroniques

Elliott Smith

Either/Or

En 1997, Elliott Smith était déjà un auteur-compositeur-interprète bien établi sur la côte ouest-américaine. Malgré deux premiers albums bien reçus, Smith n’était pas encore connu ailleurs aux États-Unis. Son groupe rock, Heatmiser, très actif à Portland, OR (ground zero du hipsterisme, semble-t-il) n’a jamais vraiment percé. C’est ainsi que le multi-instrumentiste s’est dirigé tranquillement vers une carrière solo loin des pédales de distorsion du grunge. Après tout, le rock de guitare était largement donné pour mort dans ces années après la disparition de Kurt Cobain.

Dès 1994, Smith lance son premier album, Roman Candle. L’année suivante, le prolifique musicien (toujours membre de Heatmiser) fait paraître un album éponyme. Hors des contraintes d’un groupe rock, Smith enregistre des chansons très personnelles sur un bon vieux 4-track, seul avec une guitare acoustique. Bien que ce concept ne soit en aucun cas nouveau, les chansons de ces deux albums se démarquent par des thèmes très sombres (nous sommes encore un peu dans l’époque grunge, après tout) et des suites d’accords plutôt complexes, démontrant ainsi un véritable talent de compositeur.

Either/Or est donc le point tournant de la discographie de Smith. Même si la guitare acoustique domine, le multi-instrumentiste qu’était Elliott Smith incorpore désormais l’ensemble des instruments rock à ses arrangements. C’est le début de sa véritable carrière solo qui l’amènera autour du globe, en passant par les Oscars, jusqu’à une fin tragique, en 2003.

Speed Trials et Alameda ouvrent l’album sans trop surprendre l’auditeur avec des guitares acoustiques et de subtils arrangements de basse et de batterie. Mais c’est avec Ballad of Big Nothing qu’Elliott Smith ouvre la machine et indique à ses fans de la première heure qu’il renoue avec le rock. Plus loin dans la liste des chansons, Cupid’s Trick annonce la suite des choses, étant la seule pièce de l’album avec de la distorsion et une montée épique.

Malgré tout, l’artiste semble toujours avoir un pied dans l’univers folk et un autre dans le monde du rock. Des chansons comme Pictures of Me, No Name No.5, Rose Parade et 2:45am sont toutes bâties sous le modèle du on-commence-avec-une-guitare-acoustique-et-on-embarque-la-batterie-plus-loin. Comme si ces pièces représentaient l’insécurité de Smith à quitter pour de bon le confort d’un groupe rock et se concentrer à 100 % sur une carrière en solo.

De même, Punch and Judy est une excellente ballade acoustique avec un clavier subtil et une guitare électrique tout en douceur qui vient soutenir la suite d’accords. Pour un musicien qui avait enregistré ses deux premiers albums avec les moyens du bord, Smith démontre une plus grande maturité en studio et une certaine facilité pour les arrangements. La même chose pourrait être dite pour Say Yes, chanson qui met un terme à l’album, garnie de parfaites harmonies vocales.

Cela dit, Between the Bars reste le véritable chef-d’œuvre du disque. Une des meilleures chansons du répertoire de Smith, cette dernière, au texte ambigu, est tout simplement sublime. Les vers portent l’auditeur à se questionner s’il s’agit de l’histoire d’un « pub crawl », du début d’une relation malsaine ou de la dépendance de façon générale. En fait, c’est probablement un mélange de tout ça. Les abus de toutes sortes d’Elliott Smith sont bien documentés et ont fait l’objet de plusieurs autres de ses chansons par la suite. D’ailleurs, l’époque de Either/Or marque le début de la descente aux enfers pour Smith, selon ses amis et collaborateurs de l’époque.

Note aux milléniaux : Vous ne le savez peut-être pas, mais dans les années 90, les vedettes du rock ne carburaient pas au thé vert, yoga et diètes végétaliennes comme toutes ces têtes d’affiche osheagiennes qui font les manchettes de nos jours. Non, certains d’entre eux avaient de très mauvaises habitudes de vie et n’hésitaient à s’en inspirer. Pour le meilleur et souvent le pire. Elliott Smith en était un triste exemple.

Mais on s’éloigne un peu…

Finalement, impossible de passer sous silence une autre très grande chanson de l’album, Angeles. Avec son riff complexe, Smith démontre ici qu’il n’était pas seulement un artiste tourmenté qui alignait les accords sur une guitare acoustique, mais bien un musicien de grand talent.

La suite de l’œuvre sera tout aussi excellente. XO et Figure 8 seront de bons albums de guitares à une époque un peu difficile pour ce style de musique. Bien sûr, c’est une ballade acoustique, Miss Misery, qui le fera connaître du grand public.

Il importe aussi de souligner From a Basement on The Hill, album sorti après son (apparent) suicide qui comporte son lot de bonnes chansons, bien que non officiellement terminé. N’eût été son décès, l’artiste qui avait 34 ans au moment de sa mort aurait très certainement réussi à faire paraître d’autres bons albums.

Either/Or n’était que le début de son ascension, tant artistique que commerciale.

Elliott Smith
Either/Or
Kill Rock Stars
1997