Chroniques

Rosa Yemen

Rosa Yemen EP

Rosa+YemenFaut commencer par savoir dire non. Dans les notes de pochette de Metal Machine Music, le controversé album de Lou Reed, on lit: «No synthesisers, No Arp, No Instruments? No Panning, No phasing, No». 1975. Ce NON. Non aux instruments (Reed utilise bien deux guitares, mais elles ne servent qu’à sitedemo.cauire du feedback qu’il module ensuite). Non à la structure refrains/couplets. Non à la virtuosité. Non à tout ce qui pourrait rassurer l’auditeur quant à sa conception de la musique et de son bon goût en la matière. Si Metal Music Machine a froissé plus d’un admirateur, c’est qu’en général, on déteste se faire dire non.

Rosa Yemen, c’est le nom du projet de la chanteuse Lizzy Mercier Descloux, figure quelque peu oubliée et somme toute marginale de la no wave new yorkaise, mais néanmoins emblématique de la vitalité et des aspirations de ce mouvement.

Rosa Yemen, c’est aussi le nom du douze pouces homonyme que Descloux fera paraître en 1979 et dont la durée totale s’élève à un peu moins de dix minutes. Lyonnaise d’origine, Descloux participera à la création du magazine français Rock News avec son conjoint Michel Esteban (l’un des cofondateurs de l’étiquette Ze Records, notable pour avoir endisqué Kid Creole & The Coconuts, John Cale, Lydia Lunch et Suicide) et elle deviendra correspondante pour ce magazine à New York où elle s’installera en 1976.

Et c’est là, dans le New York de la fin des années 70 profondément minée par une crise financière au point de frôler la faillite, dans cette ville où le taux de criminalité est l’un des plus élevés des États-Unis, dans le quartier Lower East Side dont certains pans ont des allures de pays en guerre tant les immeubles croulent par manque de rénovations ou sont carrément laissés à l’abandon, c’est dans ce contexte urbain où la sauvagerie et le dénuement jouent du coude que se sont retrouvé des artistes qui ne souhaitaient suivre aucune vague.

Dans l’expression «no wave», c’est de prime abord sur le «non» que l’attention doit initialement se porter. Les artistes qui seront ultérieurement considérés comme faisant partie de ce mouvement n’aiment pas être étiquetés ni classifiés, quels que soient les critères mis de l’avant; non ils ne vous proposeront pas un énième tube de «new wave» qui vous donnera automatiquement envie de danser, non ils ne composeront pas des chansons classiques… ou si, peut être, puisqu’ils feront de toute façon ce qui leur plaît, dans la liberté artistique la plus totale.

Il faut d’ailleurs insister sur le mot «artiste» davantage que sur celui de musicien. Bon nombre des musiciens qui œuvraient dans les groupes que l’on associe à la no wave n’avaient que peu d’expérience en musique et parfois aucune. Les spectacles étaient des événements uniques et comportaient souvent une grande part d’imprévu et d’improvisation. Le truc était simple: si tu veux jouer de la guitare, prends une guitare et joue. C’est cet esprit de défoulement allié à une urgence de sitedemo.cauire quelque chose, d’étaler sans compromission ce qu’on a dans le ventre et surtout de ne pas se laisser guider par les structures préétablies ni par une volonté de faire beau ou de séduire à grande échelle qui a nourri les acteurs de ce mouvement dont les enregistrements témoignent encore de l’intensité.

Les figures marquantes de la no wave sont incontestablement James Chance et Lydia Lunch, pris séparément, ou ensemble au sein de Teenage Jesus & The Jerks, groupe qui combine l’énergie brute ces deux icônes, soit la voix toujours plus près de la déclamation que du chant de Lydia, et le saxophone fou de Chance qui étoffe admirablement le tout. On ne peut en outre passer sous silence le mythique groupe DNA qui met en vedette le guitariste et chanteur déjanté Arto Lindsay, Tim Wright au clavier (auparavant bassiste de Pere Ubu) et Ikue Mori qui ponctue le tout de son jeu batterie unique aux sonorités primitives. Ou encore la formation Mars mettant de l’avant la chanteuse et guitariste Connie Burg dont le jeu de guitare aléatoire semble se découdre à perpétuité. De fait, bon nombre de ces groupes, à l’instar de Rosa Yemen (qui ne sortira qu’un seul EP sous ce nom), ne seront actifs que pendant une très courte période (DNA et Mars entre autres) et ne laisseront que peu d’enregistrements pour témoigner de cette époque de création complètement décomplexée.

Les parutions des groupes de no wave paraissaient à faible tirage sur des étiquettes obscures et n’ont en général joui d’une certaine reconnaissance qu’à une échelle très limitée. Les membres des groupes associés à ce mouvement n’avaient rien à cirer de l’industrie du disque ni des attentes de cette dernière et souhaitaient ultimement préserver la plus totale indépendance.

Quant à Lizzy Mercier Descloux, ce sera l’époque où elle se liera d’amitié avec Patti Smith et Richard Hell; Smith illustrera le recueil de poèmes de Descloux intitulé Desiderata et elles déclameront simultanément le poème Matinée d’ivresse/(Morning High) de Rimbaud, Patti en anglais, Descloux en français, sur de la musique composée par Bill Laswell. Si Descloux fait paraître l’album Press Color en 1979, un disque qui propose un mélange inusité de free funk, de new wave et d’expérimentations en tout genre laissant d’ores et déjà présager son intérêt pour les musiques du monde (Mais où Sont Passées les Gazelles? sera un hit au milieu des années 1980 en France), Descloux endisquera en outre un excellent EP dont les six pièces, qui cumulent moins de dix minutes au total, illustrent à la fois l’esprit brouillon, impatient et libre de cette anti-vague qui ne durera que quelques années, mais qui aura une influence indéniable sur la scène expérimentale des années subséquentes.

Light In The Attic vient tout juste de faire paraître une réédition de Press Color qui inclut le EP Rosa Yemen.

À voir: le docu-fiction Downtown 81 sur (et mettant en vedette) Basquiat dans lequel on entend James White And The Blacks, Kid Creole & The Coconuts, DNA, Tuxedomoon et qui propose un portrait saisissant de New York en 1980.

À écouter: la compilation No New York (sitedemo.cauite par Brian Eno)

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