Critiques

Radiohead

A Moon Shaped Pool

  • XL Recordings
  • 2016
  • 53 minutes
8
Le meilleur de lca

Au fil des années, Radiohead a tout fait pour brasser la cage, pour se remettre en question, pour aborder les grandes anxiétés de son temps. Chaque fan a ses préférences parmi les différentes époques et les plusieurs volte-face du groupe, et même ceux qui ont moins aimé la plus récente volte-face, le tendu et technologiquement chargé The King Of Limbs, tendront attentivement l’oreille pour connaître la suite, qui sera forcément différente, comme Radiohead nous y a habitués.

Alors, quelle est la réinvention cette fois avec A Moon Shaped Pool? C’est un retour du balancier vers des sonorités d’instruments traditionnels: guitares, batteries, pianos et voix, bien sûr, mais aussi et surtout une présence bien sentie de violons, altos et violoncelles. Ça ne veut pas dire que la technologie et la manipulation des sons sont délaissées. C’est plutôt que ces instruments demeurent reconnaissables et cohabitent calmement avec une variété de sons synthétiques.

C’était évident dès les premières secondes de Burn The Witch, qui ouvre l’album. L’impression de ressemblance à Viva la Vida de Coldplay n’a duré qu’un très court instant, heureusement. La tension qui s’installe par la suite ne pouvait provenir que de Thom et Cie, en partie à cause des très yorke-iennes paroles qu’on y entend (et qui friseraient «l’autoparodie» si elles n’étaient pas aussi pertinentes qu’il y a 20 ans).

Les cordes continuent de merveilleusement jouer leur rôle dans la pièce suivante, Daydreaming, avec ses altos saisissants dans le dernier quart, ainsi que dans la superbe et trop courte Glass Eyes. Ailleurs, les violons meublent les chansons sans particulièrement les élever, comme dans The Numbers et Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief.

Malgré tout ce que vous lirez et entendrez sur ce qui est différent d’A Moon Shaped Pool, il y a des éléments majeurs qui le relient à ses prédécesseurs. D’abord, le retour à des instruments traditionnels ne signifie pas un retour à des structures axées sur couplets, refrains et codas, ni aux refrains fédérateurs des premières années du groupe. Les structures sont très progressives, atmosphériques, basées sur des motifs répétés. Et ces motifs eux-mêmes ressemblent souvent à des pièces des albums précédents, particulièrement d’In Rainbows. Je n’aime pas avoir l’air de me plaindre que plusieurs passages ressemblent trop à des pièces que j’adore comme All I Need, Faust Arp ou Jigsaw Falling Into Place, ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais ça disqualifie les cris à la totale réinvention. Thom Yorke fait du Thom Yorke, et Johnny Greenwood fait du Johnny Greenwood. Le principal changement vient du fait que le travail de ce dernier pour des trames sonores l’a rendu très à l’aise avec les instruments et les compositions qui se rapprochent de la musique classique.

Curieusement, le groupe termine l’album avec la plus célèbre de ses chansons non endisquées. True Love Waits était jouée à l’occasion en spectacle depuis l’époque The Bends. Un peu étrange d’avoir attendu tout ce temps pour enfin en faire une version studio, mais sa structure sans refrain clair et un nouvel arrangement tout en piano et en échos en font une addition qui sied bien l’album, même si les paroles font un peu jeunottes, surtout dans la bouche d’un gars qui nous a chanté les beaucoup plus adultes Morning Bell et House Of Cards.

Radiohead est encore un groupe exceptionnel et unique. Ce qu’il arrive à bâtir comme ambiances avec son acolyte Nigel Godrich est d’un niveau de qualité et d’intégrité dont tout groupe ne pourrait que rêver.

Mais.

Mais peu de moments sur cet album remuent et excitent comme le groupe a déjà pu le faire. Il y a de ces moments, aucun doute. À peu près toute la première moitié de l’album m’enchante totalement. La deuxième moitié de l’album est cependant plus compétente qu’excitante. Pour un deuxième album de suite, les arrangements et les ambiances ont décisivement le dessus sur les mélodies qui s’incrusteraient dans le cœur et dans les neurones. Peut-être que le Radiohead qui fait chanter les foules en chœur ne peut plus exister. Si on l’accepte, A Moon Shaped Pool est un autre très bon album, à défaut d’être un autre classique contemporain.

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