Critiques

Jean-Louis Murat

Morituri

  • PIAS
  • 2016
  • 51 minutes
8
Le meilleur de lca

Jean-Louis MuratEn voilà un autre qui mérite le plus grand des respects et qui est parfaitement méconnu/ignoré de ce côté-ci de l’Atlantique: Jean-Louis Murat. Avec une litanie d’albums sous le bras, le bonhomme, bon an mal an, propose toujours une création de qualité. Quand on insiste sur l’importance de cristalliser son art dans la durée, Murat est un exemple probant d’une carrière réussie… du moins aux yeux de votre humble scribe. Après un excellent album conçu avec le Delano Orchestra, l’excellent Babel (2014), l’Auvergnat était de retour la semaine dernière avec Morituri; qui signifie «ceux qui vont mourir» en latin.

Enregistré en novembre 2015, ce Morituri a quelque chose de prémonitoire puisque toutes les chansons ont été écrites avant les tristes attentats du 13 novembre dernier qui ont eu lieu en France. Quand on vous dit que les poètes ont souvent une sensibilité se rapprochant de dons prémonitoires… mais, ça fait des lustres, qu’une bonne partie de l’humanité se contrecrisse complètement de la poésie et de ses poètes. Ici bas, on préfère le marketing… ceci dit avec une très bonne dose de mauvaise foi!

Alors, Murat propose à ses adeptes un album de soft rock dépouillé qui fait référence musicalement à ce que peut concevoir l’excellente formation Tindersticks. Un disque tout en délicatesse, tout en nuance, qui remémore, sans le vouloir, les événements bouleversants que la France a vécus en 2015. Les habituels textes oniriques de Murat frappent cette fois-ci l’imaginaire. Ces métaphores/allégories, rédigées en premier lieu comme un journal de bord, passent très bien le test chansonnier. Des mots parfaitement imprégnés de «l’air du temps». Quelques perles?

«Sont-ce bien là, Raisons ma mie, Pour chialer, Dans la cuisine.» – La pharmacienne d’Yvetot

«Sur la terrasse, Sur les cimes, Où tout est bien pesé, On t’assassine, Sur la terrasse, Sur les cimes, N’y a-t-il plus de ciel pour nous foudroyer ces novices?» – Interroge la jument

«La boulange est foutue, Ça ne tient pas, Les braves gens ne viennent plus, On ne sait pas pourquoi, J’irai voir la mer, Voir les Pyrénées, V’là que la boulange est foutue, Mais qu’est-ce qui nous a fait ça?» – Tous mourus

Plus blues et jazz qu’à l’accoutumée, cette mélancolie dépressive poétique assumée est magnifiquement auréolée (comme d’habitude) par la voix langoureuse de Murat. L’auteur interroge subtilement la société dans lequel il vit et son constat n’est pas des plus réjouissants. Et on n’a aucune espèce de gêne à peindre le même tableau social que Murat! Ce qu’on aime de ce Morituri, c’est ce contraste entre cette drôle de sérénité musicale et ces magnifiques textes lucides (mais curieusement sereins) que nous offre l’artiste français.

Voilà une nouvelle parution française qui peut être aisément être associée au Sebolavy de Mickey 3d, mais on a une très nette préférence pour le travail sonore et littéraire de l’Auvergnat. Moins électro-pop et plus surréaliste. Bien entendu, c’est un album intemporel qui plaira sans aucun doute au mélomane avide et connaisseur de chanson française. Une autre réussite à ajouter au compteur déjà bien garni du songwriter.

On termine avec cette citation de Murat lue directement sur le site lesechos.fr: «Quand j’avais quinze ans, j’étais persuadé qu’une guitare électrique pouvait changer le monde. Aujourd’hui, j’entends à longueur de journée des spots publicitaires qui réduisent Ray Charles ou les Rolling Stones à un jingle de 15 secondes. Avant, il y avait de l’espoir, mais aujourd’hui c’est terminé. Je n’ai jamais pensé que je pourrais donner le meilleur de moi-même pour faire la bande-son d’une société de consommation».

Tout est dit!

Ma note: 8/10

Jean-Louis Murat
Morituri
PIAS France
51 minutes

http://www.jlmurat.com/

http://www.lesechos.fr/week-end/culture/musiques/021841515568-chanson-le-tendre-requiem-de-jean-louis-murat-1214299.php?vQcolZ04EFyIREfC.99

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