Critiques

Serge Fiori + Richard Séguin

Seul ensemble

  • Sony Music
  • 2019
  • 117 minutes
7,5

Revisiter sa propre œuvre peut parfois s’avérer un pari risqué pour un artiste. Depuis son retour en 2014, après une éclipse de 30 ans, Serge Fiori a lancé un disque solo, en plus de rééditer les albums L’Heptade d’Harmonium et Deux cents nuits à l’heure, avec Richard Séguin. Serge Fiori, Seul ensemble, conçu pour accompagner le spectacle du même nom du Cirque Éloize, marque un autre chapitre dans cette aventure.

Il ne faut surtout pas considérer cet album comme une sorte de best-of, même si on y retrouve la plupart des grands classiques d’Harmonium (il manque curieusement Pour un instant, usée à la corde par les radios commerciales mais qui n’est pas vraiment représentative du son du groupe). Le projet inclut aussi deux extraits de l’album de Fiori-Séguin, sorti en 1978, juste après la séparation d’Harmonium.

Seul ensemble ne constitue pas non plus un best-of puisqu’il témoigne d’un désir de présenter sous un nouveau jour ces chansons aujourd’hui quarantenaires. Serge Fiori s’est en effet entouré de plusieurs collaborateurs de talent pour revisiter son œuvre, dont Louis-Jean Cormier (Karkwa) à la direction musicale, ainsi que les musiciens Alex McMahon (Daniel Bélanger, Ariane Moffatt) et Guillaume Chartrain (Chocolat, Gabrielle Shonk). D’autres artistes d’horizons divers ont apporté leur touche, dont le tromboniste Jean-Nicholas Trottier et la chanteuse Kim Richardson.

Il y a deux ans, quand Fiori et son comparse Louis Valois ont revisité L’Heptade à l’occasion de ses 40 ans, ils ont profité de la redécouverte des bandes maîtresses, qu’ils croyaient perdues, pour offrir un nouveau mixage. Ils se sont même permis de réenregistrer une portion de la pièce Le corridor, en duo avec Monique Fauteux, pour qu’elle corresponde à la version interprétée en tournée à l’époque. C’est un choix qui se défend, même si personnellement, je préfère encore l’originale.

Le boulot accompli sur Seul ensemble est d’un tout autre ordre et correspond plus à un travail d’adaptation des chansons de Serge Fiori pour qu’elles servent davantage le contexte d’un spectacle scénique réunissant cinq danseurs et 15 acrobates. Ça ne remplace pas les versions originales et le résultat sonore est forcément indissociable de son support visuel, d’où l’exercice délicat d’en faire une critique.

Pour apprécier Seul ensemble à sa juste valeur, il faut aussi accepter de laisser tomber ses certitudes. J’ai toujours placé l’album Si on avait besoin d’une cinquième saison, paru en 1975, sur un piédestal en raison de son refus des compromis, que j’associais à l’absence totale de batterie et même de guitare électrique… Et bien voilà, sur Seul ensemble, la pièce Vert est à peine commencée qu’une guitare électrique fait entendre des notes de basse étouffées, ce qui lui confère une pulsation sombre et inquiétante. Honnêtement, l’effet est diablement efficace. Oui, il y a aussi de la batterie, ce qui donne à la finale un tout nouveau groove qui ne la dénature en rien.

Parce qu’elles disposaient d’une instrumentation bien moins élaborée que L’Heptade, les chansons des deux premiers albums d’Harmonium ressortent les plus transformées de l’exercice. Le résultat est généralement réussi. De la chambre au salon bénéficie d’un nouvel accompagnement de cordes jouées en style pizzicato qui fonctionne très bien avec la piste vocale d’origine. Le long interlude de Depuis l’automne est apprêté à la sauce jazz fusion, ce qui surprend un peu, sauf que le contexte d’origine de la chanson est respecté puisqu’on demeure dans un univers très « prog ». Mais la plus réussie s’avère peut-être Histoires sans paroles, que je croyais pourtant intouchable à mes yeux, offerte ici en version écourtée. Si l’introduction reste fidèle à l’originale, l’ajout d’une guitare électrique avec distorsion confère une nouvelle puissance à la deuxième partie. Même l’échantillonnage de la mélodie vocale d’Aujourd’hui je dis bonjour à la vie fonctionne et crée une belle continuité sur l’album.

Certes, il y a aussi des moments qui font un peu grincer les dents. Je reste encore dubitatif devant la finale électro de Viens danser, tirée de l’album de Fiori-Séguin. En même temps, s’il y a une chanson qui se prêtait à ce genre d’écart, c’est bien celle-là. Sauf que ça jure avec le reste du disque. Chanson noire ne me semble pas non plus bien servie par les chœurs gospel qui en atténuent la portée dramatique. Il y a aussi des enchaînements qui brisent le ton. Ça fait peut-être du sens de passer de L’exil, le titre le plus sombre de tout le répertoire d’Harmonium, à l’enjouée Dixie dans le cadre du spectacle mais sur disque, l’effet est troublant, surtout que la guitare acoustique dans l’introduction de Dixie est remplacée par un banjo.

Je dois l’avouer, j’avais beaucoup d’appréhensions quant à ce disque en raison de mon attachement pour l’œuvre originale d’Harmonium. Malgré quelques accidents de parcours, force est d’admettre qu’il s’agit d’un projet mené avec le plus grand respect, non seulement pour la musique de Fiori mais aussi pour tous ceux et celles ayant contribué à créer ces chansons qui ont marqué l’histoire du Québec.