Critiques

Nap Eyes

I’m Bad Now

  • Paradise Of Bachelors
  • 2018
  • 47 minutes
7,5

Le groupe néo-écossais Nap Eyes n’a jamais péché par excès d’enthousiasme. Après deux albums à raconter le spleen sur fond de guitares sorties tout droit des années 60, le quatuor mené par le chanteur et parolier Nigel Chapman cultive une certaine forme d’optimisme sur I’m Bad Now, tout en maintenant cette lucidité dans les textes et une désinvolture dans la musique qui rendent le tout fort sympathique.

« I figured out a way to get on with my life/And to keep on dreaming », proclame Chapman dans le refrain du premier extrait de l’album, Every Time the Feeling, sorti en janvier. On ne sait trop si cette phrase s’adresse au chanteur lui-même, qui a quitté son poste de technicien en biochimie à l’Université Dalhousie pour se consacrer entièrement à Nap Eyes. « J’étais finalement à peu près capable de payer mes factures avec seulement la musique », confiait-il récemment au site Noisey.

L’anecdote peut sembler banale, mais j’ai toujours associé la pertinence des textes de Nap Eyes avec le côté rationnel de son chanteur/scientifique. Mais à l’écoute de ce nouvel opus, force est de constater que Chapman n’a rien perdu de sa capacité à mettre le doigt sur nos travers existentiels. Ça donne des lignes comme « Oh I can’t tell what’s worse / The meaninglessness or the negative meaning », sur Every Time the Feeling, et ce constat sévère sur I’m Bad, avec Chapman qui s’adresse à lui-même à la deuxième personne : « You’re so dumb ».

Mais l’espoir existe, et il semble se trouver quelque part dans la nature en tant qu’antidote à l’angoisse existentielle, comme le laisse entendre la jolie ballade Sage (« Maybe far away / The night is beautiful and rustic and grey »). À l’inverse, c’est en arpentant les rues de la ville, les écouteurs sur les oreilles, que Chapman trouve le calme sur Follow Me Down, sur un air de complainte country-folk.

Musicalement, Nap Eyes poursuit dans la même veine que sur les précédents Whine of the Mystic (2015) et Thought Rock Fish Scale (2016) avec un folk-rock qui regorge de clins d’œil au Velvet Underground, sans compter que la voix de Chapman peut facilement évoquer Lou Reed. On sent aussi l’influence de Belle & Sebastian, mais sans les arrangements élaborés. De toute évidence, Nap Eyes préfère la simplicité à l’artifice, malgré quelques titres qui franchissent les six minutes…

Même si l’esthétique se veut encore assez lo-fi, il s’agit sans aucun doute de l’album le plus ambitieux de Nap Eyes sur le plan sonore : les guitares sont mieux définies, la basse plus ronde, et la batterie plus habillée. Mais la voix de Chapman n’a pas changé et ceux et celles qui abhorrent le chant plaintif à la façon Jeff Mangum (Neutral Milk Hotel) continueront de grincer des dents. L’instrumentation limitée fait aussi en sorte que le son demeure uniforme d’une chanson à l’autre, avec un aspect un peu statique.

Au final, I’m Bad Now se démarque par la richesse de ses trames narratives énigmatiques. Le groupe assume ainsi un côté intello qui lui donne un je-ne-sais-quoi d’unique. En effet, qui d’autre pourrait citer dans un communiqué la nouvelle Le jardin aux sentiers qui bifurquent de l’auteur argentin Jorge Luis Borges, sans que cela semble prétentieux? Dans ce texte labyrinthique, Albert, croyant avoir déchiffré le mystère d’un roman où tous les mondes sont possibles, à l’inverse des fictions où le personnage ne choisit qu’une seule des options qui s’offrent à lui, affirme : « Cette trame de temps qui s’approchent, bifurquent, se coupent ou s’ignorent embrasse toutes les possibilités ». Il n’y a pas vraiment de rapport avec la poésie de Chapman, sinon que les deux préfèrent poser les questions plutôt que d’y répondre.

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