Critiques

Ensemble SuperMusique

Les Porteuses d’Ô

  • Ambiances Magnétiques
  • 2017
  • 41 minutes
7,5

L’Ensemble SuperMusique est une formation active depuis une vingtaine d’années dans le milieu des musiques actuelle et improvisée. Une des particularités de cette formation est qu’elle est dirigée par les compositeurs/instrumentistes directement, selon les œuvres au programme. Dans ce contexte, leur nouvel album, Les Porteuses d’Ô (2017), ne fait pas vraiment suite à Jeux de Pistes (2016), et propose plutôt trois nouvelles compositions de Danielle Palardy Roger, Joane Hétu et Lisa Cay Miller; dont le thème met en scène des femmes (porteuses d’eau) qui alimentent le courant musical. L’album propose donc trois compositions jouées à partir de partitions graphiques (comparativement à des partitions écrites) qui mélangent savamment l’interprétation et l’improvisation pour créer trois grandes scènes sonores uniques en leur genre.

En arrivant par le nuage de Oort (Roger, 2014-15), commence sur un crépitement étouffé et quelques coups discrets de cymbales. Les souffles imitent une sorte de fournaise et participe à une trame atmosphérique épaissie par des bruits de combustion. Le passage arythmique mène à un pont plus calme formé de frottements de cordes joués en itérations, comme des moteurs d’embarcations auxquels les cuivres ajoutent des klaxons de différentes grandeurs. La partie rythmique revient à l’avant comme une pluie d’impacts dans la salle des machines, et laisse ensuite l’espace à un dernier passage dissonant, voire strident, qui siffle comme des bouilloires jusqu’à une fin abrupte.

Le roulement de tambour de Préoccupant, c’est préoccupant (Hétu, 2015-17) ouvre sur un ton circassien, les cordes simulant des acrobaties dans les hautes pendant que les percussions et « canard-qui-fait-squeak » mènent à la partie théâtrale, durant laquelle une voix clame comme prise sur une embarcation au milieu de la mer. La scène évolue davantage avec des segments plus denses et percussifs et une performance vocale dont le niveau de folie fait penser à une aile psychiatrique. Les acrobaties musicales sont surprenantes et leur virtuosité rappelle une forme de « mickey-mousing » avec tous les événements sonores virevoltant dans la pièce.

Les cordes miment des portes en bois qui grincent sur Water Carrier (Miller, 2017), la guitare et la basse établissent en parallèle une discussion entrecoupée de coups de pic et de pizzicatos. Tout s’arrête pour laisser le segment suivant prendre place, d’une façon un peu décousue d’abord, mais ça se clarifie à partir des interactions entre les instruments. Une autre pause brève mène ensuite à un segment jazz très bien rythmé, approfondi dans les basses avec les cordes et accentué par moment aux cuivres. Le mouvement suivant est bien plus ramolli avec une atmosphère dramatique, presque souffrante et fiévreuse. Le rythme reprend progressivement pour finir sur un dernier segment de musique de chambre.

Il y a une dimension théâtrale à ce nouvel album qui donne l’impression que les instrumentistes sont des comédiens et qu’une partie de la mise en scène leur appartient. On reconnaît des inspirations provenant de la musique bruitiste et des dessins animés en noir et blanc, deux éléments qui se combinent parfaitement avec l’improvisation. En ce sens, Les Porteuses d’Ô garde les oreilles captivées à travers les trois pièces, renouvelant l’anticipation un son à la fois.