Critiques

Eminem

Kamikaze

  • Aftermath Records / Interscope Records
  • 2018
  • 46 minutes
6

Huit mois et des poussières après la sortie de son 9e album studio Revival, Eminem, l’enfant prodige de Detroit est de retour sans crier gare avec Kamikaze. C’est de loin le plus court laps de temps entre deux albums de la superstar du hip-hop et cette sortie précipitée s’explique assez facilement.

C’est que Marshall Bruce Mathers III est en beau calvaire. Non seulement les critiques de Revival ont été négatives, mais beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération se sont ouvertement moqués de lui sur les réseaux sociaux. Il faut dire que Slim Shady n’est plus tellement en phase avec la réalité du hip-hop depuis longtemps. Je retrace à 2010 le moment où j’ai arrêté de le suivre activement. Quand sa toune avec Rihanna jouait dans toutes les boutiques de linge, les pharmacies, les épiceries et les chars avec les fenêtres ouvertes. C’est depuis ce temps-là que le gars pissed-off avec le flow le plus rapide du monde (tel que le stipule le livre des records Guiness) a troqué sa veste pour celle d’un simple faiseur de hit à la Puff Daddy. Revival était la suite logique de cette progression. Un album trop long et rempli de collaborations avec des institutions pop telles que Beyoncé et (ark) Ed Sheeran. Bref, ça donnait vraiment l’impression d’être un album de has-been avant même de l’entendre.

Avec Kamikaze, Eminem redevient Eminem et se fâche assez pour être convaincant et nous rappeler pourquoi on aimait ce petit dude en colère. C’est à croire qu’il s’est ouvert des comptes sur Facebook et Instagram pour la première fois en janvier dernier, alors que les commentaires disgracieux concernant son dernier album fusaient. Pourquoi ? Parce que Marshall les a tous lus et il tire à boulets rouges sur Die Antwoord, Lil Yachty, R Kelly et l’ensemble de ce qu’il convient désormais d’appeler les Soundcloud rappers. Bref, c’est un combat old school versus new school. Au moment d’écrire ces lignes, j’ai vu les répliques boiteuses de Die Antwoord, MGK et Tekashi 6ix9ine. Oubliez ça les gars. Ça donne l’impression de revivre la fin de 8 Mile dans la vraie vie et vous avez l’air de parfaits branleux en comparaison au flow irréprochable et à la hargne du vieux Eminem.

Cela dit, pour moi, les Soundcloud rappers sont nés de la même façon que le punk vis-à-vis le Classic Rock. C’est une révolte contre les grosses productions lichées et la technique parfaitement maîtrisée. C’est dans cette seule optique que je me limiterai à comparer le nouveau hip-hop au punk : celle du refus unilatéral des conventions établies. Pour le reste, je trouve que la plupart des principaux représentants de cette esthétique sonnent comme de parfaits junkies/attardés mentaux. Mais bon, tel est le problème avec le fait de vieillir dans une société ou la jeunesse est valorisée. Il y a toujours quelqu’un qui viendra te balancer le meme de grand-père Simpson avec le titre « OLD MAN YELLS AT CLOUD » par la tête.

C’est ce qui arrive à Eminem en ce moment et c’était à prévoir. Paradoxalement, il n’a pas sonné si jeune et revigoré depuis des lustres. La production est également beaucoup plus intéressante que celle de Revival. Gros faible pour The Ringer, Greatest et Lucky You ainsi que la pochette, clin d’oeil aux Beastie Boys. Pour le reste, il y a plein de moments cringe comme les attaques homophobes faites à l’endroit de Tyler the Creator sur Fall, les propos misogynes du duo Nice Guy/Good Guy ou encore Stepping Stone, l’hommage maladroit fait aux membres de D12 qui détestent désormais Eminem. Pour ce qui est de l’homophobie et de la misogynie, Eminem vient d’une époque révolue où le gangsta rap abusait solidement de ces cochonneries. Il a beau se débattre comme un diable dans l’eau bénite, c’est ce qui trahit le plus sa vieillesse. Ça, mais surtout le fait de chiâler contre les Soundcloud rappers. Si Led Zeppelin avait répondu aux attaques des punks, à l’époque, cela n’aurait fait que confirmer le take-over du courant sur la culture de masse. Si ça se trouve, l’album de Eminem aura servi exactement à transformer la tendance en norme. Slow clap.