Critiques

Benjamin Booker

Witness

  • ATO Records
  • 2017
  • 36 minutes
7

Fin de l’été 2014, Benjamin Booker lançait un premier album homonyme. Le jeune afro-américain nous proposait alors un excellent disque qui mélangeait habilement le rock ‘n roll à la Chuck Berry, le soul Motown, y ajoutant parfois quelques soupçons de punk rock évoquant les bons vieux Buzzcocks. Le bonhomme posait un regard très critique sur le lourd passé ségrégationniste de nos inévitables voisins du Sud (et qui revient actuellement au galop) en plus de figer le projecteur sur la recherche identitaire incessante qui habite ses compatriotes. Des propos étonnamment articulés pour un aussi jeune créateur.

Et voilà que Booker nous revient demain avec une nouvelle création intitulée Witness. Un peu comme l’un de ses mentors, l’écrivain James Baldwin, Booker s’est expatrié à l’extérieur de son pays d’origine afin de réfléchir aux changements politiques et sociaux qui affligent actuellement les « States ». Oui, j’utilise sans gêne le verbe affliger, car c’est bien de cela qu’il s’agit… Si Baldwin avait préféré l’Europe, Booker s’est tourné vers le Mexique, un pays remis injustement sur la sellette par ce cher Donald !

Tout au long de sa courte existence, l’artiste a toujours cru qu’il pouvait aisément déjouer tous les pièges tendus (drogue, violence, désaffection sociale, etc.) par ce détestable racisme institutionnalisé qui sévit depuis la nuit de temps au pays de l’Oncle Sam… jusqu’à la mort violente du compatriote afro-américain Trayvon Martin qui l’a ramené à une dure réalité : son pays ne s’est jamais réellement débarrassé du racisme.

C’est dans cet état d’esprit que Booker a conçu ce Witness; un disque qui, encore une fois, est complètement revendicateur et qui a le mérite de promouvoir un message clair : être noir aux États-Unis peut vous mener directement au cimetière gracieuseté de ces salopards en uniforme qui doivent normalement « protéger et servir »… Tout au long des 10 chansons, l’artiste se positionne comme un témoin des actes répréhensibles subis par ses frères de sang. En ce qui concerne le propos, pas de doute, ça atteint la cible de plein fouet.

Musicalement, Booker emprunte un virage beaucoup plus soul que le précédent effort. Moins rageuses et rentre-dedans, les chansons de Booker gagnent en maturité et en subtilité, mais perdent aussi en originalité, se rapprochant de ce que crée un gars comme Ben Harper ou encore les Black Keys. Quelques cordes sirupeuses viennent parfois plomber le plaisir. Qu’à cela tienne, ça demeure un bon disque, malgré la disparition de l’énergie juvénile de la première création.

Quelques pièces sont venues faire vibrer la corde dite « millésimée » qui m’habite. L’invitée de marque, Mavis Staples, embellit la pièce titre qui elle, constitue un hymne senti au mouvement Black Lives Matter. Right On You possède des relents de punk-rock domestiqué. Believe semble sorti tout droit des seventies. Le folk dépouillé Off The Ground est touchant et le penchant gospel de Carry séduit.

Même si je déplore la colère maîtrisée qui anime ce Witness, Booker confirme l’indéniable talent qui l’habite. Je le préfère en mode nettement plus abrasif, mais j’en connais aussi plusieurs qui seront conquis par sa nouvelle approche. À vous de choisir votre préférence.

Ma note: 7/10

Benjamin Booker
Witness
ATO Records
36 minutes

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