Chroniques

Dinosaur Jr.

Les 25 ans de Where You Been de Dinosaur Jr.

  • Cherry Red Records
  • 1993

Après la parution de l’excellent Green Mind (1991) – composé, écrit, arrangé, réalisé et joué en quasi-totalité par ce bon vieux « pouilleux » de J Mascis – le rockeur avait envie de passer à une autre étape; celle d’une approbation plus accentuée. En pleine vague grunge, Mascis s’est donc inspirée de la morosité ambiante pour composer des chansons plus lourdes, plus indolentes, délaissant quelque peu les ascendants punks qui avaient toujours caractérisé sa musique.

Et même si Mascis avait la réputation d’être un tyran créatif assumé, il a fait appel à son fidèle comparse Murph à la batterie ainsi qu’à Mike Johnson à la basse afin de donner vie à ses nouvelles chansons. Ce sera par ailleurs le dernier effort collectif de Dinosaur Jr jusqu’au retour de l’excellent Lou Barlow sur l’album Beyond (2007). C’est donc en pleine grisaille hivernale de février 1993 que Where You Been, le plus grand succès commercial en carrière de Dinosaur Jr, sera révélé.

Where You Been est le disque de « slacker » ultime. Bourré de solos de guitare dramatiques – parmi les meilleurs de la carrière de Mascis – incluant des arrangements plus raffinés (What Else Is New ? et Not The Same), avec un chanteur dont la voix nasillarde chevrote plus que jamais, ce 5e album studio de Dinosaur Jr n’a pas fait l’unanimité lors de sa sortie à l’époque. Certains purs et durs ne juraient que par le trio des tout débuts, formé par Mascis, Barlow et Murph. La surenchère de solos de six cordes à l’emporte-pièce donnait l’impression que le taciturne meneur de Dinosaur Jr tentait de se transformer en une réincarnation de Jimi Hendrix, jouant à la vitesse d’un… Joe Satriani.

Normalement, toute cette dextérité aurait dû me taper sur le gros nerf à l’époque, mais c’est Where You Been qui met le point final à la signature sonore d’un groupe qui n’a jamais sonné comme personne. Curieusement, c’est à partir de ce disque que Dinosaur Jr gagne en crédibilité auprès d’un public « mainstream » qui se plaisait à ridiculiser le son de la formation, particulièrement la voix de Mascis qui évoquait – et qui évoque toujours – un Neil Young grippé jusqu’aux oreilles.

Avec plus de 300 000 copies vendues quelques mois après sa sortie, ce succès inattendu, mais désiré par Mascis, a chamboulé la vie du principal intéressé. En 2013, Mascis déclarait ceci à telerama.fr : « Mais ce disque, c’est aussi le début de la fin. J’ai réalisé que le succès ne m’apporterait pas forcément le bonheur. Au contraire. Les sollicitations permanentes, l’attente des autres, c’est très pénible. Je me suis peu à peu vidé de ma consistance au fil des mois, j’ai pas mal erré; et il m’a fallu renoncer à certaines choses pour savoir où était ma vraie place ». Comme quoi la définition de la réussite et du succès est très variable d’un être humain à l’autre… Après avoir expérimenté la « bonne fortune », Mascis a compris assez rapidement qu’il n’était pas fait pour toutes ces exigences superficielles qu’implique le statut de « rock star ».

Ce disque, que j’ai épluché maladivement, m’a escorté dans des jours particulièrement difficiles. Il est impossible pour moi de porter un jugement objectif sur Where You Been, tant il m’a réconforté. Un disque de survie. Encore aujourd’hui, lorsque j’écoute le solo de guitare qui conclut Drawerings, les frissons envahissent tout mon corps. Quand j’entends le riff matraque de Start Choppin’, je fais du « air guitar » comme un jeune ado extatique. Quand je tends l’oreille à Hide et à On the Way, je « headbang » ma vie. Rien de moins.

Honnêtement, Where You Been n’est pas mon disque de prédilection de Dinosaur Jr. J’ai toujours eu un faible pour You’re Living All Over Me, Bug, et dans la discographie plus récente de la formation, Farm se détache du lot. Néanmoins, pour ce qu’il représente dans ma vie de mélomane, pour ses solos de guitare de feu, pour ces rythmes magnifiquement lents et lourds, ça demeure un excellent disque. Un groupe increvable et indémodable.